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Anne Elizabeth Lapointe: aider les autres, une passion et une mission

C’est en 1982 que la Maison Jean Lapointe a vu le jour, dans le Vieux-Montréal. Anne Elizabeth Lapointe, la fille du célèbre chanteur, fantaisiste et comédien, en est aujourd’hui la Directrice générale et poursuit l’œuvre de son père avec cette farouche détermination qui l’habite d’aider tous ceux qui frappent à leur porte. Donner pour donner, aider pour faire du bien, pour remettre des vies sur la bonne track. Portrait d’une femme inspirante.

Texte et photos: Daniel Daignault

Comme j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer Anne Elizabeth, je lui ai proposé pour les photos de se prêter au jeu d’une séance comme si elle était un top modèle! Je ne voulais pas de photos trop straight, plutôt des photos qui collaient bien à sa personnalité, elle qui a d’ailleurs déjà été mannequin et qui a étudié le jeu et la danse à New York.

Anne Elizabeth Lapointe, Directrice générale de la Maison Jean Lapointe. Photo: Daniel Daignault

Anne Elizabeth travaille à la Maison depuis dix-neuf ans. Elle a débuté comme intervenante avec les joueurs pathologiques. « J’ai commencé au bas de l’échelle, si on peut dire, puis, on a lancé le programme de prévention. En fait, j’étais enceinte, je suis partie en congé de maternité, et quand mon directeur a mis sur pied ce programme qui m’intéressait grandement, j’ai négocié avec lui pour aller y travailler à temps partiel pendant mon congé. Je te le jure : entre deux allaitements, j’allais animer un atelier dans une école alors que mon bébé n’avait que quelques mois. Je voulais tellement vivre l’expérience! Il croyait que je ne voudrais plus, après mon congé, reprendre mon poste d’intervenante, mais je le lui avais promis et c’est ce que j’ai fait. Mais peu de temps après, il m’a dit qu’il avait besoin de quelqu’un pour coordonner le programme et il m’a offert le poste. C’est comme ça que j’ai commencé comme cadre à la Maison Jean Lapointe », raconte-t-elle.

Anne Elizabeth, à la Maison Jean Lapointe.

Anne Elizabeth avoue n’avoir jamais pensé qu’elle allait occuper un jour le poste de directrice générale de la Maison qui porte le nom de son célèbre père. « Oh non! Il faut comprendre que j’avais un bébé en bas âge, j’étudiais, je travaillais. Je regardais mon directeur, Rodrigue Paré, gérer tout cela et je me disais : « Oh, mon Dieu, comment il fait? Oh que je ne ferais pas ça! » Et voilà, il ne faut jamais dire jamais… »

Je n’ai pas de doute qu’Anne Elizabeth aurait excellé à titre de comédienne si elle avait choisi cette voie. Avec sa vivacité et son sens de la répartie, elle aurait aussi certainement connu de grands moments à la LNI. Mais voilà, plutôt que de suivre les traces de son père dans le milieu artistique, elle a emprunté le chemin qu’il a tracé pour venir en aide aux personnes qui sont aux prises avec des dépendances. De fait, elle poursuit ce que Jean Lapointe considère sans doute à juste titre comme la plus grande réalisation de sa vie.

AnneElizabeth et son père, Jean Lapointe.

On se trompe en croyant que vos résidents ont tous 60 ans et plus?

Oui. Ils sont encore là, bien sûr, et on est là pour eux, mais il y a en ce moment comme un mouvement de sobriété, les gens qui choisissent de ne pas boire, comme le 28 jours sans alcool de la Fondation Jean Lapointe, et il faut sauter sur l’occasion pour aller de l’avant. Ce sont tous des jeunes, pour la plupart, qui décident consciemment de ne pas consommer, et d’avoir du fun sans avoir à être gelé ou soul. Et en même temps, quand tu vas dans des salles de meeting d’alcooliques anonymes, de narcotiques anonymes, tu vois que ce sont des jeunes. Et nous, à la Maison, on veut s’assurer que nos jeunes vont être en santé, d’où l’importance de faire de la prévention. On ne veut pas que les gens qui viennent à la Maison Jean Lapointe pensent qu’ils vont être avec beaucoup de personnes âgées alcooliques. C’est ce que les gens peuvent penser, mais ce n’est pas ça. Un peu comme notre directeur qui a pris sa retraite, il y a bien des intervenants chez nous qui sont de la même génération et qui ont une sagesse inestimable, mais qui font tranquillement place à la relève. Il y a des jeunes qui sont à l’oeuvre à la Maison qui sont tellement beaux et belles à voir, et je pense qu’ils sont de bons modèles pour les gens qui cherchent de l’aide.

Anne Elizabeth, photographiée dans le penthouse de l’HOTEL10. Photo: Daniel Daignault

Pourrait-on dire que c’est maintenant moins in, chez les 18-25, par exemple, de boire de l’alcool?

Les statistiques démontrent qu’il y a moins de problèmes chez nos jeunes de façon générale, mais malheureusement, la consommation est encore bien présente. On est dans une société qui encourage beaucoup la consommation d’alcool, et il y a beaucoup de promotions qui sont liées à l’alcool, ce qu’on ne voit pas au niveau du cannabis, en passant, parce que les règles établies sont très strictes. Les 18-25 sont quand même parmi nos plus grands consommateurs. Il y a beaucoup de travail de sensibilisation à faire et de parler du traitement pour encourager ceux qui ont des problèmes à venir chercher de l’aide. Souvent, à cause des proches, de leurs amis, ils n’ont pas envie de se faire juger et de se faire exclure de la gang, alors ils hésitent avant de vouloir régler le problème. La pression des autres, de l’entourage, est présente, et ils se demandent ce qu’ils vont faire quand ils vont sortir de thérapie. Ils se disent qu’ils ne pourront plus fréquenter les mêmes amis parce que ça pourrait les encourager à prendre de l’alcool, et comment vont-ils pouvoir se rebâtir un nouveau réseau d’amis? Beaucoup de questions se posent et ce n’est pas facile d’arrêter de consommer pour un jeune.

Jean Lapointe, Mercedez, Anne Elizabeth et Jean-Marie entourent John Taylor de Duran Duran, qui était allé rencontrer les résidents de la Maison Jean Lapointe en 2016.

Est-ce qu’il t’arrive de prendre un verre à l’occasion?

C’est très rare… c’est très rare. Chacun a une réaction bien différente face à l’alcoolisme d’un parent, et qu’on le veuille ou non, on est à risque parce que dans notre cas, on a eu deux parents alcooliques. Il faut être très vigilant et si je regarde Jean-Marie, si je me regarde, notre réaction a été de ne pas vouloir toucher à l’alcool. On n’a pas envie de répéter ce que nos parents ont fait. Ça a été ma réaction, mais je suis capable de boire, de prendre un verre, et je connais mes limites. Mais le lendemain, je ne suis tellement pas bien, que ça m’enlève le goût de consommer. Alors qu’une personne qui a la problématique, malgré les conséquences, il va continuer à boire. Pour moi, être un peu mêlée le lendemain ou avoir un mal de tête, c’est zéro intéressant pour moi et ça n’en vaut pas la peine.

Au fond, ta mission est de faire en sorte qu’il y ait moins de résidents à la Maison Jean Lapointe? Ça signifierait qu’il y aurait moins de gens aux prises avec des dépendances!

Anne Elizabeth éclate de rire! C’est plate à dire, mais avec le programme de prévention, on voit plus de 100 000 jeunes chaque année, et on voit des adultes aussi, et on se dit qu’au rythme où l’on va, on va fermer la Maison! C’est utopique, mais oui, on aimerait voir de moins en moins de problèmes liés aux dépendances, mais que veux-tu : il y a toujours de nouvelles substances, et il y a de nouvelles problématiques. En ce moment, on le voit dans le reste du Canada, il y a la crise des opioïdes. On essaie que cette crise-là n’arrive pas ici, mais on la vit quand même. Il y a toujours une nouvelle drogue et les êtres humains vont toujours vouloir fuir, essayer d’aller chercher du plaisir dans la consommation.

Photo: Daniel Daignault

Le travail de prévention auprès des jeunes est primordial pour vous?

Oui, et encore faut-il que le gouvernement nous encourage, toujours. Il le fait, mais il doit poursuivre parce qu’on n’a pas fini le travail auprès des jeunes. On en voit 100 000 par année, mais chaque année, ce sont des nouveaux que l’on voit. Cette année, on rencontre 65 000 jeunes en secondaire un, c’est énorme. Et il faut les éduquer par rapport à la consommation, il faut les sensibiliser, et aussi, plus tard, faire des mises en situation. Je fais beaucoup de conférences et je rencontre beaucoup de parents, et ils ont de la difficulté à réaliser qu’ils ont un rôle à jouer. Leur rôle, c’est l’exemple par rapport à l’alcool. Il y a des parents qui permettent souvent à leurs enfants de consommer de l’alcool lors des grandes occasions. Un ami me racontait récemment qu’il a deux fils, qui ont un an ou deux de différence. Le plus vieux va goûter à de l’alcool et il fait : « Ah, ouach, papa! C’est pas bon ». Et l’autre, le plus jeune, aime ça et veut en prendre pratiquement en cachette. Mon ami a compris qu’il fallait qu’il fasse attention, qu’il arrête de lui en donner, mais ce ne sont pas tous les parents qui ont cette sensibilité-là.

Photo: Daniel Daignault

Ton travail et celui des intervenants n’est pas facile, tu peux me parler de tes victoires?

Souvent, je vois arriver des gens avec leur valise, la tête et la mine basse, et je les revois quand ils sortent, après trois semaines, et j’aime aller les saluer. Ça, c’est toujours une petite victoire. Tu vois la famille qui a hâte de les retrouver, tu constates comment les choses ont changé, c’est ma paie de voir cela! C’est sûr que ça ne prend pas Freud ou Carl Jung pour analyser pourquoi je fais cela dans la vie… On a eu chez nous les deux médailles de la dépendance. Mon père s’en est sorti et il a bâti la Maison et la Fondation, et ma mère qui, malheureusement, a perdu son combat. C’est ça qui me stimule, je ne serais pas à la Maison Jean Lapointe si mon père n’avait pas fait tout ce qu’il a fait. Mais je ne suis pas sûre que je serais là si je n’avais pas vécu l’alcoolisme de ma mère.

Anne Elizabeth en compagnie de sa mère.

Qu’est-ce que tu veux dire?

J’étais très jeune, je n’ai pas vu mon père boire, j’ai vu son rétablissement. Ma mère, je l’ai vue boire et je me suis occupé d’elle.

On savait pour ton père, mais pas pour Marie, ta mère…

Non, on n’en parlait pas, on l’a caché. Même moi, ça m’a pris des années avant d’en parler, je n’étais pas capable. Je ne comprenais tellement pas ce qu’il se passait chez nous, comment ma mère pouvait développer un problème d’alcool alors que mon père était abstinent et avait fondé la Maison Jean Lapointe. Je ne pouvais pas croire que ma mère, qui avait toujours été la femme si forte… je ne comprenais pas ce qui arrivait. Ça m’a pris des années à comprendre et à accepter, accepter son histoire à elle, et aussi accepter que ça fasse partie de mon histoire à moi. Et que je dois raconter mon histoire parce que ça m’amène où je suis. Tous les jours, j’ai une pensée pour ma mère. J’avais 18 ans quand elle a commencé à boire, et j’en avais 22 quand elle est décédée. Ma mère a bu pendant quatre ans, quatre ans où tout le monde avait quitté la maison sauf moi, qui étais la plus jeune. C’était donc le cours normal que ce soit moi qui m’occupe de ma mère. Mon père faisait des spectacles, des tournages, il était occupé et il me demandait de m’occuper de ma mère. L’une de mes sœurs vivait à Toronto, l’autre était partie depuis longtemps de la maison et mon frère était parti en appartement. Donc, c’était moi qui demeurais avec ma mère. Tout ce que je pouvais faire n’était pas de l’empêcher de boire, mais la surveiller pour m’assurer qu’elle ne se blesse pas.

Marie, la deuxième épouse de Jean Lapointe.

On parle de lourdes responsabilités…

Ça a été, de loin, les quatre années les plus difficiles de ma vie. C’était beaucoup de pression alors que mes amies étaient en train de s’émanciper, s’épanouir et vivre des expériences avec des chums et vivre en appartement, moi, ma vie a été sur la glace. Aujourd’hui, mes amies me disent qu’elles se doutaient que je vivais quelque chose, mais on n’avait aucune idée de ce que c’était parce que je n’en parlais pas. Je vivais dans un état d’anxiété épouvantable et c’est ce qui fait qu’à la Maison Jean Lapointe, on offre de l’aide aux proches. Je pousse le monde à aller à ce programme-là parce qu’on met tellement le focus sur la personne qui consomne, que nous on s’oublie, on s’enlise.

Tout ce que tu as vécu avec ta mère t’a poussée à suivre les traces de ton père et à vouloir aider les autres?

Beaucoup plus tard, parce que ce n’était pas ce que je voulais faire dans la vie. Ma mère est décédée et un mois plus tard, je suis partie vivre à New York pour étudier en théâtre. Ça a été mon salut. Mon père était bien entouré, je savais qu’il allait être correct avec le décès de ma mère, et moi j’ai pu prendre soin de moi.

Anne Elizabeth en compagnie d’amis, alors qu’elle était à New York.

Ça s’est bien passé à New York?

Non, j’ai été très malade, j’ai fait une hépatite, une mononucléose. J’étais à terre. J’allais à l’école de théâtre et j’ai compris que mon corps me disait de ralentir, de relaxer, et c’est ce que j’ai fait. Et ma thérapie a été de mettre mes émotions sur la table lors de mes cours de théâtre. Pendant que je vivais là-bas, j’ai rencontré quelqu’un qui étudiait en toxicomanie. Et moi, parce que mon père était un alcoolique établi qui avait fondé la Maison – c’était la philosophie de la Maison : ça prend un alcoolique pour en aider un autre, c’était le propre du mouvement –,je me disais que puisque je n’avais pas eu de problème de dépendance, je ne pourrais jamais travailler dans ce domaine-là. Mais le gars qui étudiait en toxicomanie m’a dit qu’il y avait plein d’étudiants, dans ses cours, à ne pas avoir eu de problème de dépendance, que ce n’était pas un critère. J’ai donc décidé de m’inscrire à l’école en toxicomanie. Je suis revenue à Montréal, je suis retournée aux études, et je me suis dit que j’allais garder les deux projets : peut-être devenir comédienne, chanteuse, ou aller effectivement travailler en toxicomanie.

As-tu des regrets de ne pas avoir fait carrière comme chanteuse ou comédienne?

Tellement pas! Je ne travaille pas dans une urgence à réanimer quelqu’un, mais c’est vrai qu’on sauve des vies à la Maison Jean Lapointe. Chez nous, on a été élevés à aider les autres et mon expérience de comédienne était tellement centrée sur moi que je me couchais malheureuse le soir. Parce que je n’avais pas aidé personne. Et ce besoin-là a été comblé quand j’ai commencé à travailler en toxicomanie. C’est tellement plus que ce que le métier de comédienne ou de chanteuse aurait pu m’apporter. C’est plus gratifiant. On est tous tournés vers l’autre, chez nous, et pour moi, la vie n’a pas de sens si je n’aide pas quelqu’un. Pour moi, me lever chaque matin pour aller travailler à la Maison Jean Lapointe, quel bonheur!

« On chante tous très bien chez nous et je devais avoir neuf ou dix ans quand j’ai chanté Chante-là ta chanson avec mon père et j’ai aussi eu l’occasion de chanter avec lui sur scène. Je me considère privilégiée. » Photo: Daniel Daignault

Deux liens importants. D’abord, si vous désirez participer au Défi 28 jours sans alcool qui a lieu en février, vous trouverez tous les détails ici: www.defi28jours.com

Il suffit de faire un don minimum de 28 $, de ne pas boire d’alcool durant le mois de février selon la fréquence de votre choix pour ainsi propager #leffet28jours partout au Québec.

Avec votre participation et en amassant des dons, vous permettez à la Fondation Jean Lapointe d’offrir des ateliers de prévention des risques liés à la consommation d’alcool, de cannabis et des autres drogues dans les écoles secondaires de votre région et partout au Québec. Les fonds amassés permettront à la Fondation Jean Lapointe de sensibiliser 80 000 adolescents de 12 à 17 ans aux risques liés à la consommation d’alcool et de drogues et ainsi diminuer globalement la prévalence de ce problème au Québec.

Enfin, pour tout savoir sur la Maison Jean Lapointe, je vous invite à vous rendre sur le site où vous trouverez toutes les informations qui pourront, pour vous ou un proche, vous guider vers de meilleurs jours. http://www.maisonjeanlapointe.org

Merci à l’HOTEL10 Montréal, ou ont été réalisées les photos d’Anne Elizabeth Lapointe.

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