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Geneviève et Antoine – Quand on tient à l’autre…

Antoine – Jeudi soir. Je devais sortir avec un ami, mais ça a été annulé. Je me rabats sur un moment seul, ce n’est pas si mal, ça fait du bien et ça ne m’arrive pas souvent. Je vais me contenter d’un rhum ou deux, d’une petite bouffe, et me taper une série et regarder plusieurs épisodes, parce que sinon je vais me mettre à penser.

À penser beaucoup trop. Je suis du genre à avoir de la difficulté à contrôler ou à gérer le flux des images, pensées, scénarios, impressions, sensations et interprétations qui roulent dans ma tête. Surtout les soirs où ma blonde sort avec ses amies… On se prévoit souvent nos sorties extra- couple en même temps, parce qu’on est soit avec nos enfants ou ensemble, et on maximise ainsi les possibilités de se voir en procédant de la sorte.

On a un agenda commun, mais une fois de temps en temps : pouf! J’apprends que ma blonde sort. Je m’organise quelque chose en même temps. Bon, si elle aimait aller jouer au bowling ou qu’elle tripait sur les sorties au musée, ça ne me chicoterait pas pour un sou, mais elle préfère aller danser. Et dans des endroits où il y a soixante braguettes pour une robe! Pis toutes les braguettes sont sur le mode cruise et ils n’ont qu’un but… pis ce n’est pas de s’informer sur l’état de santé de ma blonde, mettons!

Ça m’insécurise purement et simplement. Quand bien même je me parle et que je comprends, que je sais que ma blonde aime danser et qu’il est normal d’avoir des soirées sans qu’on soit ensemble… je me fais du mouron quand même. Ça fait que toute la soirée, je me gruge le nœud à tenter de me détendre pis de relativiser, de mettre de l’avant que c’est normal dans un couple sain de ventiler dans nos activités avec nos amis, mais même en tentant de me rassurer, ça ne fonctionne pas complètement.

Je regarde la télé, mais je ne la regarde pas, je manque une portion de l’épisode que je visionnais parce que je suis plongé dans le souci. Alors je recule, pis je recommence. Un petit rhum de plus, un mal de tête plus loin, et en bout de ligne, je vais avoir grugé le coussin du divan jusqu’aux plumes pour qu’enfin, elle me texte qu’elle est bien rentrée chez elle saine et sauve. Après, je vais aller me coucher et tomber de fatigue, parce que les nerfs me lâchent.

Ma blonde est belle, OK? Belle, pour ne pas dire magnifique. Le genre de femme qui se fait remarquer parce qu’elle prend soin d’elle et que ça parait, mais aussi, parce qu’elle est naturellement gracieuse dans sa démarche et très charmante. Elle est aussi hyper-sociale. Les gars la regardent, évidemment, et j’imagine qu’il n’y a pas un seul d’entre eux qui lui jase sans avoir une idée derrière la tête. Messieurs, ne tentez pas de faire croire autre chose. 

Geneviève – Un mardi soir. Je suis à la maison avec ma fille, on vient de finir de manger. Tantôt, je vais la coucher après avoir lu avec elle dans le lit. On se fait ça souvent, ma fille et moi. Un petit moment de lecture, un moment qui nous rapproche. C’est comme une petite tradition. Mais ce soir, devant mon livre, je suis un peu moins concentrée. Je dois relire plusieurs passages deux ou trois fois. J’ai la tête ailleurs. C’est que mon amoureux a fait garder ses enfants et il sort avec son meilleur ami pour aller voir une game de hockey dans un bar. Ce n’est pas méchant, mais dans ces moments-là, moi, j’ai besoin d’être rassurée. Et beaucoup, parce que j’ai toujours peur qu’il se fasse cruiser par la barmaid ou par d’autres filles.

Ce soir, je vais me coucher tôt en espérant dormir parce que je veux fuir mon inquiétude. Quand je fais ça, il peut me monter des scénarios en tête de choses que mon chum pourrait faire pendant sa sortie… qui sont inacceptables! C’est loin d’être réaliste, je fais confiance, alors, je me parle. Je me gère, je tourne dans le lit. Je réussis à ne pas capoter… en fait, à ne pas trop capoter…

Mais je vais quand même enlever mon bandeau pour les yeux vingt fois dans l’heure pour voir s’il m’a envoyé un texto pour me dire qu’il est rentré. Résultat : je ne dormirai pas bien. Je vais me lever plein de fois pour aller à la toilette alors que je n’aurai même pas envie, et je boirai un verre d’eau chaque fois, alors je finirai par avoir vraiment envie, et je me lèverai ainsi encore plus souvent!

Je pense sans arrêt dans ce temps-là. Je me mets à essayer de changer de sujet dans ma tête, pis à penser à ma journée de demain, à mon yoga, à ce que j’ai mangé pour souper ou que j’aurais dû mettre plus de coriandre dans le chili. Ou encore, que je devrais peindre le mur du salon en bleu et que je devrais m’acheter le manteau que j’ai vu hier en allant chercher les lunettes de ma fille chez l’optométriste… Hum… oui, je pense que mon chum va l’aimer ce manteau-là… Oh! Mon chum… Câline! La game n’est pas censée être terminée? Je regarde mon cellulaire… encore. Bon, la troisième période va finir dans trois minutes. J’espère qu’il ne va pas rester trop longtemps au bar après… Sûrement pas, il doit bien y avoir un deadline pour la gardienne…

En tout cas, mon chum est beau, OK? Le genre de gars qui rentre dans un endroit et qui se fait regarder. Le pire, c’est qu’il ne le sait pas trop, juste assez. Il est un peu tête en l’air et spontané, pis y est drôle dans ce temps-là. En même temps, il a un petit air mystérieux et des yeux tellement profonds! S’il jase à une fille, c’est sûr qu’elle va capoter sur lui. Qu’on ne me fasse pas croire que lorsqu’il parle à une fille, elle ne remarque pas ça. Il est profond et gentil, y pourrait tenir la porte à une plus jeune que moi par politesse et paf! Elle tomberait en amour avec lui ben raide! Les filles, n’essayez pas de me convaincre que vous ne le remarqueriez pas, je ne vous crois pas.

Il y a plusieurs choses qui ressortent de ce genre de soirée. La première, c’est que ce genre d’inquiétudes, ça arrive seulement quand on tient à l’autre. Geneviève et moi, ça adonne qu’on est sensibles aux mêmes soucis à la base. On a tous les deux vécu des relations qui nous ont blessés dans une mesure de trahison et d’abandon. Et la confiance que l’on portait à l’autre a été trahie.

Cette réalité qui m’habite, cette blessure, me mène à la méfiance, parfois à la vigilance. Ça peut m’amener à vouloir contrôler Geneviève pour qu’elle ne sorte pas sans moi, afin que je ne sois pas atteint d’insécurité. Une forme de contrôle qui la brimerait et qui ferait en sorte que notre relation ne traverserait pas le temps. Je ne fais donc pas ça, parce que ça brimerait la liberté de Geneviève et ça lui ferait porter la responsabilité de mon malaise. Elle finirait par développer une frustration et la relation s’envenimerait probablement.

Il ne faut pas oublier de réaliser qu’il y a un autre élément primordial qui fait en sorte que l’insécurité nait chez l’un et l’autre, quand on sort chacun de notre bord. C’est la peur de perdre. Dans mon cas, comme dans celui de Geneviève, la peur de perdre est proportionnelle à l’importance que l’autre a pour nous. Je tiens à Geneviève comme à la prunelle de mes yeux, et ça fait que j’ai peur de la perdre et que lorsqu’elle sort, je suis soucieux. Ça, ajouté à ma blessure de trahison, ça donne l’inquiétude et le souci intense que vous avez lu plus haut.

La vérité au fond, c’est que je choisis de faire confiance à ma blonde et elle de me faire confiance. C’est le chemin que nous choisissons pour nous laisser notre liberté. On discute beaucoup de ces sorties que nous faisons chacun de notre bord. On se rassure, on se dit de bons mots. On ne cherche pas à banaliser ce qui se passe pour l’autre, tout en ne se lâchant pas dans nos besoins de voir nos amis.

Chacun est responsable de ses insécurités et de ce qu’il vit, mais c’est nécessaire d’être entendu. Si je parle de mon insécurité et que je suis rabroué, ça risque de m’insécuriser encore plus. Par contre, si je suis reçu et rassuré, je peux mieux trouver une manière de prendre soin de moi pendant qu’elle sort. Mais, et j’insiste, ça fait tellement du bien d’être entendu!

Le fait de parler sans se faire de reproche, mais en restant sur ce que l’on vit, ça donne la possibilité à l’autre d’être légitime concernant ses besoins. Aussi, ce n’est pas que Geneviève a « besoin d’être sans moi » quand elle sort, ce serait facile de me sentir délaissé ou encombrant. Non, la réalité est qu’elle a besoin de cultiver ses relations d’amitié qui existaient, pour la plupart, avant que l’on se rencontre. Aussi, chaque fois qu’on sort sans l’autre, on prend soin de l’autre pendant la soirée. Je lui envoie des émojis de cœur, des photos et tout mon amour, parce que je me soucie d’elle et que je l’aime. Je perds un peu de temps dans ma soirée avec mes amis, mais je gagne en profondeur dans ma relation. « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. », nous dit le Petit Prince de Saint-Exupéry.

Prendre soin de l’autre, c’est aussi lui laisser la liberté d’être. Moi, quand j’accepte de composer avec les sorties de ma blonde, je prends soin d’elle aussi, parce que je sais qu’elle en a besoin. De toute manière, ce qui s’appelle BESOIN ne reste pas en cage bien longtemps, alors aussi bien chercher à comprendre et à accepter.

Et pour ce qui est des regards des autres sur la beauté, effectivement, c’est une réalité. Ça, je n’y peux rien. C’est à accepter ça aussi. Il y a des choses sur lesquelles on n’a pas de contrôle dans toutes nos relations, ce qui fait qu’on peut vivre avec cette réalité. C’est la communication et la force de l’engagement. Je fais confiance parce qu’elle prend soin de moi, et elle a confiance parce que je prends soin d’elle.

Et puis, la beauté de prendre du temps extra-couple, c’est que chacun peut revenir vers son amoureux en se sentant encore plus libre d’être soi-même.

Geneviève Pépin et Antoine Portelance

Étudiants en 3e année de formation, programme de formation professionnelle en relation d’aide par l’ANDCmd offert au Centre de relation d’aide de Montréal inc. (CRAM)

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