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Lydia Bouchard, Passionnée de la tête aux pieds

Lydia Bouchard a fait son entrée à l’hôtel où nous avions rendez-vous en compagnie de ses parents, chargés de prendre soin de la petite Billie, âgée de près de six mois, pendant que j’allais faire l’entrevue et les photos avec la Maître de Révolution. Premier constat : quand du haut de ses 5 pieds 2 pouces elle plonge ses yeux dans les vôtres, en affichant en plus un large sourire, difficile de ne pas succomber au charme de cette femme énergique au charisme fou.

Texte et photos: Daniel Daignault

Dès la diffusion de la première émission de Révolution à TVA à l’automne 2018, Lydia Bouchard s’est distinguée par ses propos judicieux, son amour et sa vaste connaissance de la danse et sa façon, tantôt stoïque, surprise et emballée, tantôt émue et touchée, de réagir aux prouesses des candidats. À trente-sept ans, celle qui a été demi-finaliste au Festival international de la chanson de Granby dans la catégorie auteure-compositeure-interprète en 2005, qui a aussi pris part aux auditions de La Voix, sans oublier évidemment qu’elle a participé comme danseuse à quantité de spectacles au Québec et à l’étranger en plus de faire de la mise en scène et de la direction artistique, est une femme fascinante aux multiples talents. Par exemple, j’ai découvert qu’elle avait signé un premier roman, Les Russes après l’école, publié en 2016 chez Québec-Livres.

« J’ai fait ça par admiration pour les gens qui écrivent, confie-t-elle. Je n’ai pas la prétention d’être auteure, mais je trouve que c’est un très beau geste que d’écrire un roman. Et c’est très libérateur, parce qu’il n’y a aucun budget, aucun producteur, et tu n’as pas à attendre d’être choisie, c’est toi qui call la shot!

Janvier 2020, le roman de Lydia Bouchard a été réédité sous le titre S’envoler, presque, aux Éditions Petit Homme.

J’imagine qu’il y est question de danse?

Oui, il faut écrire sur ce que l’on connait, il faut puiser dans ce qu’on a, mais ce n’est pas du tout autobiographique. Ma protagoniste est une jeune danseuse et ça traite plus des années latentes du passage à l’âge adulte que de danse. J’ai écrit ce roman sur le coin de la loge, pendant que je travaillais à Toronto, où j’ai fait six cents spectacles. Pendant six ans, à temps perdu, j’ai écrit cette histoire. Je n’avais pas d’espoir d’édition et je n’ai pas cogné à plusieurs portes, et j’ai accepté la première offre pour que ce roman sorte de mon ordinateur. C’est vraiment un geste très personnel que j’ai fait en écrivant ce roman, je l’ai fait pour moi d’abord, et pas du tout avec l’intention de faire de l’argent ou d’avoir de l’attention. Et tant mieux s’il existe.

Tu as aimé l’expérience au point de vouloir la répéter?

Oui, mais encore faut-il que j’aie ce moteur ou quelque chose à dire qui me donnerait envie de le faire de cette façon-là. J’ai une tête très créative, c’est probablement là ma seule qualité, et le reste découle de ça, dit-elle en esquissant un large sourire. Actuellement, je mets en scène des choses, je peins des images avec du monde et c’est formidable.

En plus d’avoir travaillé à maintes reprises avec le Cirque du Soleil, on l’a même vue danser aux côtés de James Gregg dans le clip de la chanson Blue Wonderful https://www.youtube.com/watch?v=7QmgP1hf_Ec d’Elton John que l’on retrouve sur l’album Wonderful Crazy Night paru en 2016.

« C’était un contrat comme bien d’autres, mais c’était difficile. Ça a été la nuit la plus froide de ma vie, j’ai été suspendue à une grue pendant près de quatorze heures, à une température de -20 o C. C’est Victor Quijada de RUBBERBANDance qui a fait la chorégraphie, et mon partenaire était James Gregg, un homme formidable qui a une compagnie de danse merveilleuse aux États-Unis. Thibaut Duverneix réalisait le clip, c’était juste du beau monde, c’était une super équipe, et le tournage a eu lieu à Châteauguay. C’était chouette malgré le froid et non, on n’a pas vu Elton sur le plateau ».

Disons-le, les danseuses et les danseurs deviennent rarement des personnalités connues, ce sont des exceptions…

C’est très anonyme danser, et c’est correct. Il n’y a aucun danseur qui se dit qu’il va devenir danseur pour la gloire et l’argent. Ça n’existe pas. Je pense que ça leur plait, il y a quelque chose chez les danseurs qui s’apparente à l’art visuel dans leur tête, dans leur façon de voir les formes. Ce ne sont pas nécessairement des gens exubérants dans la vie. Ça arrive aussi pour les comédiens de ne pas être exubérants dans la vie, et d’arriver à camper un rôle. Je pense que le fait que les danseurs soient muets, ça fait en sorte que ça attire toute cette gang de personnes créatives qui ne veulent pas utiliser la parole pour s’exprimer.

Comme les comédiennes et les comédiens qui se démènent pour trouver du boulot, il faut travailler fort et avoir de la chance aussi?

Oui, il y a tout l’aspect des auditions, l’envoi de dossiers, d’entrepreneuriat, parce que tu deviens ta propre petite entreprise. Comme dans tous les métiers d’art, il y a la question d’être choisi par sa communauté, d’être nommé ou retenu à l’audition. J’ai vécu avec ça durant toute ma vie, et le fait d’écrire m’a libéré de cet aspect parce que j’étais seul maître de ce qui allait se passer et ça m’a beaucoup plu.

Le ballet : une découverte

C’est à l’âge de douze ans que Lydia a commencé à danser. « C’est comme si c’était hier, je me souviens exactement de ma face quand j’ai ouvert la portière de la voiture pour aller à mon premier cours de ballet ».

Photo: Daniel Daignault

Qu’est-ce qui t’avait incité à t’inscrire à ce cours?

J’allais à mon cours de ballet parce que j’avais vu une petite fille à l’école qui était venue faire du ballet, une fille avec qui j’ai dansé par la suite et qui est devenue contorsionniste pour le Cirque du Soleil. On se connait encore. Elle a dansé et ça m’a changée, j’ai voulu faire ça tout de suite. J’ai dit à mes parents que je voulais aller au ballet, je me souviens de mon père qui m’avait dit que ce n’était vraiment pas mon genre.

Pourquoi?

À ce moment-là, j’étais un peu punk, un peu rebelle, avec des studs, j’étais déjà un peu edgy. Mais le ballet, la danse, a été une obsession pour moi, et je pense que ça doit l’être à l’adolescence pour songer à en faire une carrière. Il faut que tu aies mis ton cœur, toute ta tête et tes énergies en fonction d’atteindre ce but. Ça n’arrive pas par hasard, de danser, ce n’est pas comme la chanson, par exemple. Chanter, tu peux avoir un don venu des Dieux, avoir six ans, ouvrir la bouche et donner l’impression de sortir d’une autre vie. Je te dis ça et je dois dire que j’ai quand même connu des danseurs qui avaient ce don particulier, qui te font dire : « ça s’peut pas! », que c’est quelqu’un qui vient d’une autre vie. Moi, je n’avais pas ce don du tout et il a fallu que je travaille comme une forcenée pour rattraper le temps perdu, parce que c’est tard, douze ans, pour commencer à danser. Je n’ai jamais arrêté par la suite.

Lydia et la danse

À quel moment as-tu pensé que tu voulais en faire une carrière?

Très tôt, j’avais treize ans. Plus tard, j’ai compris l’importance d’avoir plusieurs cordes à mon arc afin de pouvoir vivre de la danse, parce que ce n’est pas payant danser. Je suis allé me chercher un agent, dans le but de pouvoir faire des publicités, avoir des rôles pour faire de l’argent afin de continuer à danser; ça me coûtait une paire de pointes par semaine, et on parle à ce moment-là de cent, cent vingt dollars. Ça faisait beaucoup d’argent, en plus des vingt heures de cours privés que je suivais. Mes parents voulaient bien suivre et ils m’ont appuyée de façon extraordinaire. Bref, c’est comme ça que je suis devenue comédienne, entre guillemets, parce que je dois dire que je n’ai pas eu une grande carrière de comédienne. J’ai toujours passé près, j’ai toujours été dans le dernier call back pour un rôle sans jamais l’obtenir.

Lydia en répétition avec son partenaire, pour le spectacle
Joe Dassin, la grande fête
musicale, en 2006.
Photo: Geneviève Dorion-Coupal

Tu avais de grandes ambitions quand tu étais adolescente?

Je voulais partir à l’étranger faire des stages d’été, c’est la façon la plus formidable de s’entrainer, en tant qu’enfant. Je suis partie toute seule à Los Angeles à l’âge de 14 ans. Je ne parlais pas un mot d’anglais et quand je suis arrivée à l’aéroport international de Los Angeles, j’avais la chienne! J’ai appelé ma mère deux jours plus tard pour lui dire que je voulais revenir. Elle m’a dit : « Non, tu as payé pour faire un stage, tu restes là-bas. »

Tu as donc décidé de foncer, et tes parents t’ont appuyée par la suite?

Il a beaucoup été question d’engagement, et j’en parle d’ailleurs beaucoup à mes enfants. Mes parents n’ont pas voulu ça pour moi, je pense qu’à un certain moment, tu ne peux pas vouloir pour ton enfant. Surtout dans quelque chose comme la danse qui te demande tellement de mettre tes tripes sur la table. Il faut que ça vienne de la personne qui est prête à s’investir, et il a fallu que je parvienne à les convaincre. En plus, je ne venais pas d’une famille qui était dans les arts, et ils se demandaient si c’était un métier dont j’allais pouvoir vivre. C’était tellement important pour moi,  mais ça n’a pas été facile. Je me souviens d’avoir auditionné pour le Ballet national du Canada et d’avoir été refusée à Montréal, et ma mère avait conduit la voiture jusqu’à Québec pour que je participe à une autre série d’auditions. Il y a aussi eu ce moment où nous sommes partis dans le verglas pour aller auditionner dans le nord des États-Unis, dans le but de pouvoir aller danser à New York. Ou encore cette fois où je suis allée à New York avec ma mère en bus pour auditionner pour San Francisco Ballet. Ils m’ont vraiment appuyée.

Une autre corde à son arc

Tu as dansé, mais tu as aussi été directrice artistique et fait de la mise en scène?

Oui, mais en fait, je n’ai jamais arrêté de danser. J’ai été happée par autre chose, et théoriquement, je pourrais danser encore, je ne suis pas blessée. Je ne suis pas en forme, parce que le temps ne me permet pas en ce moment de m’investir dans l’entrainement, parce qu’il faut compter au moins la moitié d’une journée quand tu dois performer. J’ai du mal à justifier ça parce que ce n’est pas mon métier premier, mais ça me manque beaucoup de danser. J’ai pensé un jour à faire une transition et j’ai fait mon cours en fleuristerie. Je fais partie d’une association qui s’appelle Dancer Transition Resource Centre, parce qu’en milieu de vie, tout à coup, tu te retrouves avec deux enfants et tu n’as plus de métier. Tu as un cinquième secondaire, alors que tu as l’équivalent d’un doctorat dans ton milieu. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve une autre porte de sortie, quelque chose qui m’allumerait autant, mais c’est très difficile d’accoter ce que ça fait la danse, quand tu as vécu quelque chose d’aussi fort en début de carrière. La transition est difficile, il y a un gros deuil à faire.

Photo : Daniel Daignault

Tu as donc plongé à pieds joints dans cette nouvelle aventure?

Tout à fait. J’ai demandé des bourses, j’ai cherché quelle était la meilleure école de fleuristes au monde, et j’ai trouvé ce cours en Belgique que je pouvais faire à distance. J’ai donc fait mon cours en fleuristerie avec un maître belge, puis j’ai été graduée à Bruges. Mon but était de faire de l’art visuel avec les fleurs, comme ce Japonais (Azuma Makoto) qui fait des installations de fleurs et de glace, ou cette artiste londonienne (Rebecca Louise Law) qui fait des suspensions magnifiques. J’étais très attirée par l’art visuel. Je me voyais dire à mon père : « Après danseuse, papa, je deviendrai artiste visuel ou poète! » La fleuristerie m’appelait, mais je performais encore à ce moment-là, et je suis partie à Dubai faire Pas de deux acrobatique avec mon partenaire. C’est à ce moment que j’ai reçu un appel du Cirque du Soleil avec qui je travaillais abondamment comme artiste.

Comme dans bien des histoires, il suffit parfois d’un simple appel téléphonique, ou d’une rencontre, pour vous amener à plonger dans une nouvelle aventure. Lydia allait avoir l’occasion d’ajouter une autre corde à son arc.

« Ils étaient à la recherche d’une danseuse qui pouvait être sur scène et aussi assurer la chorégraphie du premier spectacle présenté l’été à Trois-Rivières. C’était le spectacle Le monde est fou. J’ai skypé avec Jean-Guy Legault de Dubaï, et on est tombé amoureux artistiquement l’un de l’autre. J’ai chorégraphié ce spectacle pour eux, puis un deuxième, et un troisième. Il m’a fait confiance, il m’a donné beaucoup de place pour exprimer mes idées. J’avais mon mot à dire sur les costumes, sur l’éclairage, ça a vraiment été un travail d’équipe et une chance formidable qu’il ait ainsi confiance en moi. Ensuite, le Cirque m’a donné des mises en scène à faire, des petites, des plus grosses, puis encore des plus grosses, et ça m’a menée où je suis, et je me sens vraiment comme dans un magasin de bonbons. »

Quand on en arrive à moins danser, j’imagine qu’il y a de la peine et de la frustration, et aussi un deuil à faire?

Il ne se fait jamais, le deuil. Le corps arrête d’être capable de faire ce que tu as dans la tête, mais ta tête continue et se complexifie comme artiste. C’est l’un des seuls métiers d’art qui s’étiole avec le temps.  Je veux encore danser, je veux danser longtemps. J’ai eu une coupure à faire, claire, nette, et quand je vais aborder la danse, j’aurai besoin que ce soit dans ce nouveau corps, d’une nouvelle façon. J’ai beaucoup de jugement pour la danseuse que j’étais, j’ai comme un œil extérieur et je pense que je serais très dure avec elle. En faisant Révolution, le poids des choses a changé. Pour les danseurs, la notoriété est quelque chose qui n’existe pas, et avec cette lumière particulière qui est mise sur nous, c’est formidable, parce qu’on a une tribune pour montrer ce que l’on peut faire. Il y a des danseurs que l’on voit qui débutent, et d’autres qui sont aguerris, qui travaillent déjà beaucoup. Personnellement, je me dis que si je danse, tout à coup, je ne pourrais plus danser au Québec comme je le voudrais, ça aurait un poids différent. Je pense que je me mets beaucoup de pression par rapport à ça. C’est dans les cartes, j’y travaille.

Photo : Daniel Daignault

Cela dit, il y a ton travail à Révolution, celui de metteure en scène et la danse qui te tiennent occupée, mais tu as également une vie de famille, trois enfants!

Quand je danse, je m’ennuie des enfants, et quand je suis avec les enfants, je m’ennuie de danser. Ce sera toujours comme ça. Danser, c’est mon grand amour, et mes enfants sont mon grand amour. J’ai vraiment compromis ma technique au profit d’être une maman présente, et je pense que cette idée qui est véhiculée voulant qu’on peut tout avoir, soit la conciliation travail-famille et d’être une superwoman est fausse. C’est un mensonge monumental qui fait en sorte de mettre de la pression sur tout le monde. Quand je suis en voyage pour danser ou pour mettre en scène et que je ne suis pas avec mes enfants, je ne suis pas avec mes enfants. Cela dit, j’essaie de les emmener avec moi le plus possible; ils ont fait des siestes en coulisses sous le rack de costumes, ils ont été cachés backstage pendant que je dansais, j’ai allaité en tutu, j’ai mis en scène en allaitant. J’ai essayé du mieux que j’ai pu qu’ils puissent vivre cette aventure et cette passion là à mes côtés, et qu’ils puissent aller à la bonne école. Personne ne veut d’une mère sacrifiée. J’espère que mes enfants pourront se nourrir du fait que je suis très heureuse et passionnée, et qu’ils sont les bienvenus dans cette passion-là.

Au fond, on parle du meilleur des deux mondes?

Oui, mais en même temps, pour la concentration et la performance, c’est un autre projet. Je cite Woody Allen à qui on a demandé comment il faisait pour faire tant de choses : il a répondu qu’il essayait de compartimenter. J’essaie donc de compartimenter ma tête et mon cœur pour donner à chaque passion autant d’amour possible. Je pense être très présente et très proche de mes enfants, je suis probablement moins forte techniquement comme danseuse que si je n’en avais pas eu, et je suis très confortable avec ce choix de vie là.

Entre deux questions, Lydia me confie que l’homme qui partage sa vie est gréeur acrobatique. Gréeur? « C’est lui qui fait voler les gens, et ce n’est pas une mince affaire! », précise-t-elle.

Quand tu jettes un regard sur ton parcours, tu as des regrets?

Non, je n’ai aucun regret. Oui, comme je le disais, j’aurais pu avoir une meilleure technique, mais mes enfants m’ont apporté une très grande perspective, et peut-être aussi une compassion envers moi-même que je n’avais pas. Tous les métiers reliés au corps sont très difficiles, et grandir devant un miroir en maillot et en collants, c’est très difficile. Je te dirais que je suis comme en vacances de mes bibittes depuis que j’ai des enfants, et je ne m’ennuie pas du tout d’elles, ajoute-t-elle les yeux brillants en souriant.

Parlons de Révolution, comment as-tu obtenu l’emploi? Tu as été appelée à passer une audition?

C’est très drôle, je pense que je suis naïve parce que je n’avais pas réalisé que j’étais en audition. Je me trouvais en Espagne, en train d’assister une amie à la mise en scène d’un projet pour le Cirque, et ce soir-là, je suis allée marcher sur la montagne à Sacramento. Mon téléphone a sonné : c’était un ami qui travaille à la boite de production Fair-Play pour me dire qu’il aimerait faire un skype pour me parler d’un projet, un nouveau show de télé. « Ton nom est venu sur la table, on a parlé de toi », m’a-t-il dit. J’étais à deux secondes d’entrer dans un spectacle de flamenco, et j’étais là, avec mon cellulaire, à parler par skype avec mon ami, mais j’ai réalisé qu’en en réalité, il y avait vingt personnes autour d’une table qui m’écoutaient et me voyaient. J’étais en entrevue! On m’a donc parlé du projet Révolution, on voulait que je sois peut-être « maître ». « Maître »? Minute! Qui peut dire un jour : « Je suis maître! ». Je trouvais le terme tellement loin de quelque chose dont je n’aurais jamais la prétention d’être. On m’a demandé si j’étais capable de juger de la danse, d’émettre des opinions, et on m’a fait voir un clip de gens qui dansaient et de le commenter. Ce que j’ai fait, le plus naturellement possible, en essayant que des non-danseurs puissent comprendre ce que je disais.

Cela a visiblement été concluant!

Je pense qu’ils ont vraiment aimé que je sois capable d’expliquer aux « moldus » quelque chose de complexe, ajoute-t-elle en riant.

C’est ainsi que Lydia a été recrutée pour faire partie de cette émission qui allait lui donner le statut de « personnalité télévisuelle », en lui donnant l’occasion de baigner dans l’univers qu’elle chérit depuis toujours. « Le but, en danse, est toujours de trouver l’image qui va déclencher quelque chose dans le corps de l’autre. On travaille beaucoup par image. Et moi, avec mon amour des mots et de l’écriture, je ne fais que ça, chercher et trouver l’image forte. J’ai donc l’impression, tout à coup, que cette opportunité est venue allier tout ce que j’ai fait avant. Ça a comme tout brodé ensemble. »

Honnêtement, sans être un adepte des émissions de danse, j’ai été happé par la formule de l’émission, par vague, par tes propos justes, tes moments de plaisir et d’étonnement à voir les gens danser devant toi, tout comme j’ai du plaisir à voir les réactions des Twins et de Jean-Marc…

Tu sais, j’ai toute la communauté de la danse qui est là, qui me regarde, qui nous regarde, et je pense que si je fais le métier que je fais, c’est parce que je suis capable de parler à un artiste et de l’amener vers ma vision. Pour ça, ça me demande de vulgariser et de justement simplifier ma vision. Je pense que je suis très bonne dans le Hollywood pitch, assez pour que lorsque je me retrouve avec vingt-cinq artistes avec douze jours pour monter un show, je vais être capable de gérer leurs têtes pour qu’ils exécutent ce que moi je voudrais. Je pense que c’est la raison pour laquelle je suis présentement metteure en scène au Cirque présentement. Ces bonnes idées-là qu’on peut avoir, il faut savoir comment en arriver à ce que les artistes puissent les rendre concrètes, et tirer le meilleur de ces artistes. Je traite Révolution de la même façon. Je vois un danseur entrer devant moi, ce serait un manque de respect de ne pas donner une note honnête. Tout le monde le saurait, on dirait que ce que je dis est fake. Ça n’aurait aucun sens pour moi de faire ça, par rapport à ma communauté, et par rapport au danseur qui a eu la générosité et les couilles de monter sur scène. Quand ils dansent, je les traite comme s’ils étaient devant moi dans un studio, et qu’ils devaient refaire leur numéro tout de suite après, comme si c’était une œuvre que je devais amener plus loin, selon mes goûts. Je suis très consciente que ce n’est pas tout le monde qui est d’accord avec mes goûts, mais je trouve important qu’il y ait plusieurs lunettes pour voir le même numéro. C’est pour ça qu’on est si différents sur le panel aussi.

C’est vraiment particulier, parce qu’on te voit souvent, ainsi que les autres « maîtres », être ému aux larmes en voyant des danseurs s’exécuter. Et ça ajoute bien sûr à l’émotion que peuvent ressentir les téléspectateurs devant leur écran.

Je n’ai pas de filtre! On peut voir l’émotion que je peux ressentir, mais je vais te dire une chose, je pense que j’ai passé quinze ans de ma vie à ne pas pleurer.

Ben voyons!

Je me souviens du jour où, à quatorze ans, j’étais dans un studio de danse. Ça se passait en anglais, je ne comprenais rien, il y avait la directrice artistique qui était là, et je devais danser… et j’ai merdé. Je me suis fait engueuler devant tout le monde et je me suis mise à pleurer, je me suis déconstruite. C’est dur, des fois, les commentaires… Et puis à l’adolescence, on est plus fragile, plus rebelle… On m’a fait sortir du studio et la directrice m’a dit : « You can try on your own time… mais on n’a pas de temps pour les enfants ici. Ou bien tu entres dans le studio et tu deviens une adulte live, ou tu quittes ». Je sanglotais et j’ai décidé de rentrer. Toutes les filles m’attendaient et étaient en position, en tutu, et le pianiste aussi attendait. J’ai traversé tout le studio dans une humiliation absolue, je me suis préparée pour danser, et là, je me suis effondrée en sanglots à nouveau. Ils ont attendu que j’arrête de pleurer, que je me contrôle pour recommencer. Il y avait trente-cinq personnes qui attendaient après moi, qui me regardaient. À partir de ce jour-là, je n’ai plus eu accès à cette émotion-là pendant longtemps. Je me suis protégée de ça, je me suis endurcie beaucoup, assez que je peux voir un film très touchant et ne pas pleurer. Je me rappelle, mon ex-mari pleurait à chaudes larmes en regardant un film, et il me disait : « T’es un robot? ». Non, j’étais super touchée, mais je ne pleurais pas.

C’est un avantage ou un inconvénient?

En tant que comédienne, j’avais beaucoup de problèmes à accéder à la tristesse, à la colère. Il y avait quelque chose à l’intérieur de moi qui s’était figé. Cette journée-là, alors que j’étais adolescente, a vraiment été marquante. Maintenant, et c’est nouveau, je me sens assez forte et assez solide pour laisser libre cours à cette émotion-là,  je n’ai plus besoin de me protéger autant qu’avant. Je dirais que c’est en quelque sorte une nouvelle confiance en moi qui fait que je peux être émue et laisser cette émotion arriver.

Il t’arrive donc maintenant d’avoir les larmes aux yeux?

Photo: Daniel Daignault

Les marathons me font pleurer! Les gens qui se dépassent, ça me fait pleurer, et c’est ce que ça me fait de voir les danseurs qui se dépassent à Révolution. Je vois un être humain qui va au-delà de soi. C’est la chose qui m’émeut le plus au monde.

Revenons à Révolution, le succès de cette émission est quand même phénoménal!

Ça a changé le poids des choses, je vois énormément de bons danseurs pour lesquels j’ai énormément de respect.  Et qu’un chauffeur d’autobus et un monsieur à l’épicerie me parlent de danse, je trouve ça génial.

Tu es étonnée de voir à quel point il y a beaucoup de danseurs au Québec, et de bons danseurs?

Non, je ne suis pas étonnée parce que j’ai grandi dans ce milieu-là. Je suis contente que maintenant, tout le monde le sache. On parle beaucoup de la danse qui est difficile avec le corps, et oui, il y a un aspect très difficile à tout ça, mais il y a aussi un grand sentiment d’appartenance à une communauté quand tu es dans un groupe de hip-hop, dans un ensemble. Il y a des choses qui sont très bonnes pour l’estime de soi là-dedans, et je pense que ça peut être très positif  comme enfant, comme adolescent, de grandir avec cette discipline-là. C’est très beau de les voir aller.

Chose certaine, on comprend, en regardant l’émission, à quel point la danse exige beaucoup de travail et de discipline.

Dans le spectre des arts, c’est le métier le plus dur, qui demande le plus de travail. Les danseurs, ce sont les premiers en répétition et les derniers sortis. Et ce sont les moins payés de la gang. C’est très respecté ailleurs, aux États-Unis, sur Broadway, et même à Toronto c’est plus respecté. Au Québec, je ne sais pas pourquoi, il y a eu une culture comme si les danseurs étaient devenus des éléments de décor dispendieux. On les a enlevés, on n’a pas mis de répétition, on a simplifié, alors on ne sait pas de quoi ils sont capables. Ils n’avaient jamais eu de tribune. C’est merveilleux d’avoir un endroit pour que les gens sachent ce qui se fait. Par contre, quand tu es danseur au Québec, si tu veux danser, tu dois t’exporter, aller danser ailleurs, parce que malheureusement, le marché n’a pas suivi. Et là, j’ose espérer qu’avec Révolution, les diffuseurs vont se rendre compte ou réaliser, avec la notoriété des danseurs, qu’ils peuvent faire un show de danse à Hull, à Gatineau, à Québec ou ailleurs, et ils n’auront pas besoin d’avoir un autre médium. Les gens vont se déplacer pour aller voir de la danse et des danseurs qu’ils connaissent. Mon souhait est que ça dynamise le marché et que de ça en découlent des œuvres qui nous suivront.

Tu es mère de trois enfants, dont la petite Billie, née en avril 2019, j’imagine que tes émotions prennent aussi parfois le dessus avec eux?

Mes enfants m’ont très peu vue pleurer, tellement que pour eux, quand ça survenait, c’était bizarre et je devais les rassurer. Quand ils sont nés, j’étais heureuse, j’étais émue, mais je ne pleurais pas.

Photo: collection personnelle, publiée sur Instagram.

Mis à part la petite dernière, tes enfants ont quel âge?

Mon fils a treize ans, j’ai une petite fille de neuf ans, et bien sûr ma cocotte.

Ta fille aimerait suivre tes traces?

Elle est très très douée, et je ne lui enseignerai pas. Mon fils est aussi très doué, mais il n’est pas question qu’ils dansent, ils ne veulent rien savoir. Ma fille a débuté l’équitation et elle capote, je pense que la zoothérapie sera formidable pour elle, elle devra s’occuper de son cheval. Elle pourrait aussi bien décider de tout changer à douze, treize ans, et de décider de danser, et si elle le fait, je serai là pour la guider. Je pense qu’elle a tout ce qu’il faut autour d’elle, dans mon réseau de contacts, pour avoir les meilleurs professeurs. Elle a d’ailleurs participé au spectacle Décembre et elle chante très bien.

La pomme n’est pas tombée loin de l’arbre!

Je ne lui ai jamais rien montré, et elle ne veut pas non plus. Je respecte ça, ce n’est pas à moi de lui enseigner ces choses-là, mais elle apprend par mimétisme, bien sûr, parce qu’elle est brillante. Elle dit tout le temps : « Maman, ton style ce n’est pas mon style. » Il faut que ça vienne d’elle, je ferai comme mes parents, elle devra me convaincre si elle veut danser.

Photo: collection personnelle

Quel genre de mère es-tu?

Je ne suis pas l’amie de mes enfants, je suis leur mère. On s’aime profondément, on est très proches, mes enfants sont très câlins et on est très colleux. Je pense qu’ils savent que je ne serai jamais leur amie, ils ont des amis et n’ont pas besoin que je joue ce rôle-là. Ils ont besoin d’une maman et je suis là pour ça. Je serai une louve et un roc pour eux.

Et quelle est la suite des choses pour toi?

Je ne sais pas, je te dirais que j’accueille les choses comme elles viennent. Dans mon plan de carrière, il n’y avait aucune notoriété à l’horizon, et c’est sûr que je suis en train de développer des choses pour faire des shows ailleurs qu’au Québec. S’il faut que je perce comme metteure en scène, aussi bien le faire à l’international. J’ai vraiment très très envie d’ouvrir ma propre compagnie. J’ai tout ce qu’il faut autour de moi de producteurs, de danseurs, de concepteurs de costumes, d’éclairagistes, j’ai un cercle de personnes absolument talentueuses que je ne demande qu’à exploiter. Donc, j’aimerais bien faire un show sous mon nom. Et peut-être que je serais dans le show, ce serait une façon d’allier travail et famille pour moi. Je suis dans ce milieu depuis plus de vingt ans, et je dois dire que j’en profite pleinement dans le moment présent, avec ce que ça m’apporte aujourd’hui, et je ne demande qu’à être surprise par l’avenir.