19300017124.8dd5717.21bf68dc932f4c2f95a1be411c9aab2d

Maxime Dufour-Lapointe Après le ski, place à la médecine

Depuis ma retraite, je découvre qui je suis en tant que femme, pas en tant qu’athlète, et je recrée la suite de ma vie.

Maxime Dufour-Lapointe

Je l’attendais dans le hall de l’Hôtel10 à Montréal, sur un canapé, les yeux rivés sur l’écran de mon cellulaire, lorsqu’elle est arrivée sans que je ne l’aperçoive. J’ai entendu un « Bonjour » joyeux, j’ai relevé la tête : elle était devant moi, superbe, grande – j’étais assis en plus! –, un grand sourire illuminant son visage. Maxime Dufour-Lapointe était radieuse, superbe. Un look de top modèle. Sans surprise, tous les regards se sont tournés vers elle.

Par Daniel Daignault

À 30 ans, elle est retraitée après avoir mis un terme à sa carrière de skieuse acrobatique il y a un peu plus d’un an, précisément le 8 août 2018. Dix ans à faire carrière aux côtés de ses sœurs Justine et Chloé, et un palmarès pour le moins impressionnant. Elle a participé à trois Championnats du monde, plus d’une centaine de courses dans le cadre de la Coupe du monde, et bien sûr, probablement sa plus grande fierté, elle a été de l’épreuve des bosses aux Jeux olympiques de 2014 tenus à Sotchi. Après s’être illustrée sur les pentes, c’est dans un hôpital qu’on la retrouvera éventuellement puisqu’elle a entrepris des études en médecine. Une autre façon de semer le bonheur.

Photo: Daniel Daignault

Un an plus tard, tu es parfaitement en paix avec ta décision d’accrocher tes skis?

Je suis contente de voir où j’en suis aujourd’hui. Quand on annonce une retraite, en tant qu’athlète, c’est un gros moment de ta vie, et c’est aussi une grosse transition d’arrêter de pratiquer le sport. C’est un moment où l’on est tous un peu perdus, tu ne sais pas ce que l’avenir te réserve. Pour ma part, j’avais des plans de retourner à l’école, ce qui était sécurisant parce que j’embarquais dans quelque chose d’autre, j’ai laissé derrière moi tout ce que je connaissais d’être athlète, mon horaire, mes habitudes. J’ai été douze ans sur l’équipe nationale, et avant ça m’avait pris cinq ans avant d’en faire partie, alors ça a été toute ma vie jusque là. Et du jour au lendemain, presque, c’était terminé. J’étais en paix avec ma décision, et je le suis encore. La compétition ne me manque pas. Je regarde l’année qui vient de passer et je me dis que j’en ai fait du chemin, et que je suis bien. Je suis contente de voir que je fais mon petit chemin. Je me suis refaite des habitudes, et je suis encore un peu en reconstruction, je suis au début de mon cheminement à l’école, je fais de nouvelles activités, je fais de l’équitation. Je découvre qui je suis, en tant que femme, pas en tant qu’athlète, et je recrée la

suite de ma vie. J’ai vu tout ça comme une opportunité d’aller faire de nouvelles choses, développer mon potentiel dans d’autres sphères qui m’intéressent comme la médecine.

Ta dernière année en ski a été un peu rock and roll, non?

Oui, parce que j’ai eu une opération à la hanche, un an avant les jeux. C’était une blessure d’usure, j’ai skié un an blessée, mais je ne le savais pas. La douleur a commencé en octobre et on ne m’a pas vraiment diagnostiqué avant la fin de la saison. C’était une année des Championnats du monde, c’est aussi l’année où l’on a appris que ma mère avait le cancer, c’était super émotif cette année-là. Et ce n’était pas sorti dans les médias que notre mère était malade, alors on vivait avec tout ça. Pour le ski acrobatique, tu as besoin de tes hanches, et j’avais dix mois pour être prête pour les jeux de Pyongyang. Je savais que j’avais une bonne équipe autour de moi, et j’étais soulagée de savoir qu’en fait, ce n’était pas de ma faute, ce n’était pas parce que j’étais trop vieille, j’étais blessée. J’ai tout de suite voulu qu’on m’opère et quatre mois plus tard, j’étais de retour sur les skis. C’étaient de belles étapes, je me rapprochais de plus en plus des jeux. Ça prend quand même un an pour être complètement rétabli de ce genre d’opération-là, et je voulais être performante en course. Je m’étais mis un gros défi et j’ai manqué un peu de temps, c’est pour ça que je n’ai pas réussi à me qualifier pour les jeux. Mais puisque mes sœurs y allaient, c’était clair qu’il fallait que j’y aille. Quand on a appris que je n’étais pas sélectionnée, mon père pensait que j’allais partir en vacances, disparaître, et je pense que tout le monde aurait compris, mais j’ai dit non! Il fallait que j’y aille, pour être avec mes sœurs, et que je voulais tout faire pour les aider, et finalement j’ai vraiment trouvé ma place, j’ai été comme une attachée média. Et je voulais y aller pour me célébrer, me tenir la tête haute. Ce n’est pas parce que je n’étais pas une Olympienne que mes quatre dernières années ne valaient rien. C’était un petit peu ma façon de célébrer.

Ça a certainement été particulier pour toi l’hiver dernier, tu as vécu des moments difficiles?

Oui, il y a eu des petits deuils à faire au cours de cette année, comme de ne pas partir en voyage avec mes sœurs, d’aller les voir en compétition et de ne pas être compétitrice. Tous ces petits moments que je ne faisais pas, comme je les vivais au cours des vingt dernières années, mais c’est un passage obligé. Je suis allée les voir à Tremblant, j’ai eu la chance de commenter la Coupe du monde de Calgary avec TVA Sports, alors j’essaie d’être proche de mon sport d’une autre façon.

Photo: Daniel Daignault

Forcément, tu vois moins tes sœurs qu’auparavant?

Oui, ça a été le plus gros défi. De ne plus voyager avec elles, de les voir moins souvent, il a fallu réapprendre comment nous allions nous voir, quelles allaient être nos interactions. Nous étions tellement habituées là-dedans que nous n’avions pas besoin de parler, nous nous comprenions. On se voit moins, donc on doit se parler un peu plus. Ça a été une adaptation pour la famille. Je trouve ça cool de les voir continuer de progresser dans le sport, d’avoir du plaisir et de m’en parler. C’est l’fun de les voir évoluer, elles vont super bien et ont connu une belle saison. Moi, c’était le temps de tirer ma révérence.

Tu as donc entrepris un nouveau chapitre de ta vie, il y a longtemps que tu désirais étudier en médecine?

Dans le sport, nos parents nous ont toujours dit d’aller à l’école, que c’était important et qu’il fallait avoir de bonnes notes pour préparer notre avenir. Ce qu’on a toujours fait, mais c’est vrai que j’avais en tête d’aller en médecine. Ça venait d’en dedans, c’était ma voie, je sentais le défi que ça amenait et aussi que je trouverais ma place dans ce milieu. Ce n’était pas nécessairement clair quant à savoir où, quand et comment, mais c’était la voie que je devais suivre. J’ai fait mon Cégep en sciences pour en arriver là, mais puisque les compétitions avaient lieu de décembre à mars, et on se laissait avril comme congé, et on recommençait en mai à s’entraîner, ça laissait peu de place pour être à temps plein à l’école. Pour mon secondaire, je suivais le programme d’études internationales, j’étais sur l’équipe du Québec en secondaire quatre et cinq. Et en cinquième secondaire, j’ai obtenu la médaille du Lieutenant-gouverneur général pour la meilleure moyenne académique. C’est une belle fierté que j’ai.

Tu as toujours visiblement été douée pour les études?

Je pense que je fonctionne bien dans le système scolaire, je vais le dire de même, précise-t-elle avec un grand sourire. Ça fonctionne bien, mais je travaillais vraiment fort, je me souviens que je me couchais tard, mais j’avais à la fois un plaisir et le défi de bien faire le travail. Je retirais beaucoup de satisfaction là-dedans, je ne me suis jamais sentie forcée. C’est en faisant du sport que je me suis mise à avoir de meilleures notes à l’école. Ça m’a permis de me discipliner, parce que je savais que j’avais moins de temps pour faire mes devoirs. Le focus du sport, je l’ai pris et appliqué à l’école, l’un est vraiment venu avec l’autre. Je me suis dit que si ça marchait dans le sport, ça pouvait marcher à l’école, et les deux en ont bénéficié, il y a avait un équilibre. Donc, j’ai fait mes études collégiales à distance, beaucoup à la maison, en même temps que je m’entraînais.

Tu as vraiment été persévérante!

Oui, pour vrai! Maintenant que j’y repense, je me demande comment j’ai fait. Je l’ai fait en huit ans, je faisais deux ou trois cours par année, et vers la fin je faisais mes cours de sciences et les laboratoires au Cégep, soit à l’été ou à l’automne.

À quel moment as-tu fait les démarches pour être admise en médecine?

La longue histoire, j’ai terminé mon Cégep en 2014, et j’avais appliqué en médecine à l’Université de Montréal et j’ai eu une offre. À ce moment-là, il était clair pour moi que je voulais poursuivre ma carrière durant encore quatre ans. En me rendant jusqu’en 2014, je dirais que c’est comme le moment où je suis pleinement devenue une athlète de haut niveau. De 2010 à 2014, ça a été des années de transformation jusqu’à devenir mûre pour les Jeux. L’école serait toujours là, et j’ai voulu essayer de trouver un compromis pour faire à la fois les études et le sport, mais c’était un peu compliqué. Je me suis rendue à l’évidence que pour bien réussir quelque chose, il fallait que je m’y consacre à cent pour cent. J’ai décidé d’y aller pour un autre quatre ans, en me disant qu’après cela, j’allais cogner de nouveau aux portes, en espérant que ça marche.

Et ça a marché!

Oui, en 2018 j’ai été acceptée à l’Université de Montréal et j’ai commencé l’année préparatoire de médecine, parce que je sors du Cégep. Dans le fond, je suis considérée comme une étudiante de Cégep, même si je suis pas mal plus vieille que les autres. Cet automne, j’ai commencé mon bac, j’en ai pour six ans au minimum. L’été dernier, j’ai eu la chance de faire un stage d’observation dans le cadre d’un programme qui a pour but de faire découvrir la médecine familiale en région. J’ai passé un mois à Mont-Laurier et j’ai réalisé que la médecine familiale m’intéresse énormément, la médecine sportive aussi. Je veux rester proche du sport, parce que c’est un milieu que j’ai près du cœur, je vais toujours me sentir à la maison dans le sport. Ce n’est pas encore clair, mais ça va se préciser au cours des prochaines années. Depuis ma retraite, je fais confiance à la vie, j’ai cheminé et ça s’éclaircit tranquillement, et je vais finir par être exactement là où je dois être.

Maxime est d’un calme olympien, c’est le cas de le dire, et à 30 ans, c’est une femme posée, articulée et d’une grande maturité que j’ai devant moi. La détermination qu’elle affiche à vouloir aller au bout de son rêve et réussir sa seconde carrière est belle à entendre. Je suis convaincu qu’ils seront très nombreux à apprécier d’être traités par le Dre Maxime Dufour-Lapointe dans quelques années.

D’aller là-bas, de me tenir la tête haute et de célébrer tout ce que j’ai fait pour me rendre là. C’était chargé d’émotion, notre mère allait quand même bien.

Photo: Daniel Daignault

Au fait, comment va ta mère?

Ça va, ça va, on vit avec, on va voir où ça s’en va. On ne parle pas de rémission, mais elle est en pleine forme, elle se sent bien, la qualité de vie est là et on profite de chaque moment tout le monde ensemble. Ma mère n’a jamais fumé, elle a tout le temps été en forme, et bien bougé et bien mangé. C’était vraiment sorti de nulle part, il n’y a pas d’histoire de cancer dans notre famille. Ça a été vraiment un choc quand nous l’avons appris, et nous n’en avons pas parlé parce que nous n’étions juste pas prêtes à en parler. Quand on l’a fait, à Tremblant (en janvier 2018), c’était vraiment un soulagement. On a été totalement transparentes, et d’avoir enfin partagé la nouvelle, ça a été comme une grosse vague d’amour qu’on a reçu, et ça nous a donné un bel élan à Justine, Chloé et moi pour aller aux Jeux. Et là, la vie continue.

Quels sont les plus beaux souvenirs que tu conserves de ta carrière?

Sur le plan personnel, le fait d’être une Olympienne, d’être allée à Sotchi, c’est top! Mais en repensant à ma carrière, ça va être toujours le podium à trois, avec mes sœurs, à Val Saint-Côme (en janvier 2016). Devant ma famille, nos amis, je me souviens qu’après la course, j’étais à la salle de bain, où t’as juste le temps d’être enfin avec toi-même, et j’ai pensé : c’est pour ça que j’ai fait tout ça. Ça valait toute la peine pour ce moment-là, c’était unique, c’était historique. Les mots ne sont pas encore assez forts pour décrire ce moment, c’était comme gagner le Super Bowl, tous nos amis viraient fous! L’excitation était incroyable, c’était un conte de fées, de A à Z. Ça restera mon highlight de carrière.

Le classement final chez les femmes, lors de la Coupe du monde des bosses en janvier 2016 :

1-Justine Dufour-Lapointe
2-Chloé Dufour-Lapointe
3-Maxime Dufour-Lapointe

Un podium historique pour les soeurs Dufour-Lapointe, à Val Saint-Côme, en janvier 2016.
Photo: Laris Thompson

Qu’est-ce qu’il te vient à l’esprit quand tu repenses à Sotchi?

Être olympienne, être aux Jeux olympiques, c’était un moment, mais le cadeau déguisé derrière ça, c’est la route que j’ai parcourue, la personne que je suis devenue pour pouvoir me rendre jusque là. Et d’être prête et donner la meilleure performance que je pouvais donner aux jeux. Je trouve que j’ai réussi mes jeux, c’est l’équivalent d’une médaille dans mon cœur, tout ce que j’ai fait pour me rendre là, et comment je me suis comportée et performé aux jeux de Sotchi.

Justine a remporté l’or à l’occasion de la finale féminine de ski sur bosses, à Sotchi, alors que Chloé a obtenu l’argent. Maxime a terminé au douzième rang de la compétition.

Tu as de quoi être fière de ta carrière de skieuse!

J’ai fait le tour dans le monde du ski et dans la compétition. Je pense que j’ai accompli tout ce que j’avais à accomplir et j’ai été au bout de mes capacités, ça j’en ai la conviction. Je n’ai aucun regret. J’y repense et je n’ai que de bons souvenirs. De terminer et de prendre ma retraite après avoir passé autant d’années dans le sport et me dire que j’aime encore autant skier, je trouve ça l’fun. C’est beau de finir et ne pas être écœurée. Je trouve que j’ai bien réussi ma sortie.

Photo: Daniel Daignault