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Nancy Audet au secours des enfants de la dpj

Derrière la journaliste Nancy Audet, qui œuvre à TVA Sports depuis plusieurs années, qui est notamment appelée à couvrir sur une base régulière le milieu de la boxe, se cachait une femme meurtrie portant un lourd secret. Un secret qu’elle a choisi de révéler au grand jour au printemps 2019.

L’histoire de Nancy est celle d’un enfant, une petite fille qui voulait simplement être aimée. Nous nous connaissons depuis plusieurs années elle et moi, mais cet entretien m’a fait réaliser que finalement, je savais bien peu de choses à son sujet. Surtout, j’ignorais ce qu’elle a dissimulé durant de si longues années. Entrevue en deux temps, d’abord avec la rescapée de la vie, puis avec la battante, celle qui a réussi à se tailler une place dans le milieu du journalisme sportif.

Texte et photos : Daniel Daignault

« Je viens de Saint-Dominique-du-Rosaire, c’est un petit village en Abitibi-Témiscamingue situé juste avant de prendre la route pour se rendre à Matagami. C’est la route pour aller à la Baie James. J’ai grandi dans ce petit village de quatre cents habitants où tout le monde se connaissait. C’était une vie spéciale, il n’y a plus beaucoup de gens qui ont la chance de vivre ça. J’ai été là de ma naissance jusqu’à l’âge de sept ans, puis j’ai été placée en famille d’accueil. Je suis revenue au village avant de repartir pour de bon à l’âge de quatorze ans.

Nancy, une petite fille qui ne demandait qu’à être aimée.

En avril dernier, tu as publié sur ta page Facebook un lien d’une entrevue que tu as accordée, dans laquelle tu révélais ce que tu avais vécu enfant. Qu’est-ce qui t’a poussée à faire ce témoignage?

Ça fait longtemps que je veux m’impliquer dans une cause, en particulier celle des enfants de la DPJ, mais j’étais encore sensible. Je sentais que je n’étais peut-être pas prête. Dans la dernière année, j’ai décidé que le temps était venu, surtout quand tu prends connaissance des chiffres : mille enfants qui sont en attente d’une évaluation au Québec seulement ! Je sais que là-dedans, il y a des petites Nancy qui sont laissées à elles-mêmes. Je me couche et je ne dors pas la tête tranquille, je pense souvent à ça. J’ai communiqué avec la directrice de la Fondation du Centre jeunesse de Montréal pour lui dire que je voulais m’impliquer, que c’était une cause qui me tenait à cœur. Je voulais savoir ce que je pouvais faire pour les aider. On a eu des discussions, je voulais entre autres parler aux jeunes, leur dire qu’il est possible de réussir sa vie. Elle m’a alors dit : « Tu sais Nancy, si tu veux entrer dans leur cœur, il faut que tu sois honnête, que tu sois vraie. Sinon ils ne t’écouteront pas. »

Ça m’a marquée et j’ai pensé : « Si moi, à 40 ans, je n’ai pas encore le courage de dire que je suis allée en famille d’accueil, que je suis allée en Centre jeunesse et que je suis une enfant de la DPJ, si j’ai honte de mon passé, qu’est-ce que je vais leur donner comme message ? »

Photo: Daniel Daignault

J’ai rencontré plein de gens ces derniers mois qui sont passés par la DPJ et qui cachent cette réalité à leurs proches, à leurs collègues de travail. Des personnes qui ont honte de ce qu’ils ont vécu. C’est difficile à expliquer, mais quand tu vis de l’abandon, tu as très peu d’estime de toi. Et pour une raison qui m’échappe, tu as peur que si tu le dis aux gens qui t’aiment autour de toi, qu’ils te jugent et arrêtent de t’aimer. Tu vas jusqu’à penser que tu n’étais tellement pas un bon enfant que même tes parents t’ont abandonnée. Tu gardes ça caché, et tu le vis dans ton cœur parce que l’abandon est une blessure qui est assez douloureuse. Il y a beaucoup de choses que mes amis proches ignoraient, et même mon conjoint ne savait pas tout.

Photo: Daniel Daignault

Tu as donc décidé de livrer ton secret ?

Oui, j’ai fait le pas, et je suis contente de l’avoir fait. Je me sens bien par rapport à ça. J’ai reçu des centaines de messages à la suite de cette publication. Un père m’a écrit pour me dire qu’il était très ébranlé par mon témoignage. Il a réalisé qu’il avait lui aussi des blessures qui n’étaient pas guéries. Et ça l’empêchait d’être un bon père pour ses deux enfants. Il ajoutait que je lui avais donné le courage d’aller chercher de l’aide dans l’espoir d’être le père qu’il voulait être pour ses enfants. Juste ce message-là, ça valait la peine que je parle de ce que j’ai vécu.

C’est à l’âge de 7 ans que Nancy a été placée dans une famille d’accueil.

Et disons-le, ce que tu as vécu a été loin d’être facile…

Quand tu es abandonnée par ta mère… Mon père n’était pratiquement jamais à la maison parce qu’il travaillait dans le bois et un jour, ma mère m’a laissée dans un bureau avec des inconnus et leur a dit : « Je n’en veux plus de cette enfant-là. Trouvez-y une autre mère. » J’avais 7 ans, ma mère s’en allait et je me souviens que je criais : « Maman ! Maman ! » Et elle m’a répondu : « Je ne suis plus ta mère. Ils vont t’en trouver une autre, eux autres. » Moi, cette journée-là, ce moment-là, j’ai fait comme s’il n’avait jamais existé. Je me suis fermée complètement et c’est pour ça qu’ensuite, il est difficile de tisser des liens et d’avoir confiance. Ton cœur est tellement brisé, c’est long à réparer.

Tu as donc été placée dans une famille d’accueil ?

Je suis allé dans une famille d’accueil, chez Rose-Aimée, et plus tard, à 14 ans, quand j’ai fugué, j’ai été retrouvée par les policiers deux semaines plus tard. On m’a amenée dans un centre jeunesse et ça n’allait pas bien, je dormais dans une salle capitonnée parce qu’ils craignaient que je m’enlève la vie. J’étais vraiment en détresse.

Photo: Daniel Daignault

Tu pensais réellement au suicide ?

Oui, j’avais déjà fait deux tentatives et j’étais dans un piteux état. J’ai demandé à la travailleuse sociale si elle pouvait appeler Rose-Aimée pour savoir si elle accepterait de m’accueillir de nouveau. Je m’étais bien sentie chez elle, et en sécurité. On l’a appelée et même si sa maison était pleine, elle a accepté de me reprendre. Je lui ai dit : elle m’a sauvé la vie, je lui suis infiniment reconnaissante. Cette femme a accueilli des dizaines d’enfants de la DPJ ! Je suis allée la voir récemment pour la remercier et partager beaucoup de choses. Elle m’a confié : « Quand t’es entrée dans la maison, j’avais huit enfants et tu m’aidais tellement, t’étais une perle. Quand ils m’ont rappelé quand tu avais 14 ans, you bet que je me souvenais de toi ! J’avais envie que tu reviennes chez moi », m’a-t-elle dit. Elle se souvenait de tout, on a pleuré, et j’ai remercié ses enfants aussi parce qu’ils ont partagé leur mère toute leur vie avec les enfants de la DPJ. Dans sa maison, j’ai appris que ça existait, l’amour, elle m’a montré ce que c’était que d’aimer un enfant.

Nancy et sa fille, en compagnie de Rose-Aimée.
Nancy et Launa posent en compagnie de Rose-Aimée et de sa fille Ghislaine.

Ouf ! J’imagine que plus tard, tu as cherché à avoir de l’aide de spécialistes ?

J’ai vu une psychologue, j’étais en thérapie et je ne voulais jamais y aller. Un jour, elle m’a dit : « Tu sais, Nancy, tant que tu n’ouvriras pas ces tiroirs-là, c’est dangereux pour toi. Tu ne pourras pas t’épanouir, tu vas toujours revenir en arrière ; il y aura toujours des événements qui vont te ramener là. Et quand tu ne fais pas le ménage des tiroirs, à un moment donné, les tiroirs débordent, et ils vont s’ouvrir d’eux-mêmes. Et quand ça va arriver, ce ne sera peut-être pas le bon moment. Peut-être que ce sera quand tu vas devenir mère, c’est souvent à ce moment que ça arrive, beaucoup de bouleversements surviennent. Et ça fait en sorte qu’on ne peut pas être la mère ou le parent que l’on veut. »

Photo: Daniel Daignault

À l’époque, j’étais loin de ça, de penser à être mère, mais j’ai choisi de lui faire confiance. Je me souviens de la première journée où j’ai raconté ce qui s’était passé dans le bureau du Centre jeunesse, à la suite d’un signalement. J’ai tellement pleuré ! Quand on a fini la séance, j’aurais pu tordre ma chemise tellement elle était trempée. J’avais les yeux fermés et quand je les ai ouverts, je lui ai dit que ça me faisait tellement mal. « Comprends-tu ? Je vais mourir, tu vas me fucker ! » J’étais fâchée. Elle m’a dit : « Non, c’est l’inverse qu’on est en train de faire. Je suis en train de te redonner ta vie. Tu vas aller te reposer, parce que ça a été trop exigeant, on ne se verra pas pendant deux semaines. Fais-moi confiance. »

Elle avait raison. Je commençais à me sentir mieux, mais pas assez pour que ça sorte de ce bureau-là. Elle m’a amenée à guérir beaucoup beaucoup de choses, et quand j’ai eu ma fille, j’étais contente d’avoir fait cette démarche.

Nancy et Launa.
« Cet enfant-là va être toute ma vie et depuis qu’elle est là, c’est extraordinaire. »

En devenant mère, j’imagine que ce moment où ta mère t’a rejetée était encore plus douloureux ?

J’aime tellement mon enfant ! Je me dis que ça ne se peut pas que ma mère m’ait abandonnée dans un bureau. Moi, tu me passerais sur le corps avant que tu partes avec mon enfant ! Je devais vraiment être la pire enfant sur terre pour qu’il n’y ait pas cet amour inconditionnel. On va se dire les vraies affaires : elle ne m’aimait pas. Mon père m’a raconté que ça a commencé à ma naissance. Il a été le premier à me voir après l’accouchement, et il a dit : « Ah, tiens, une petite sœur pour Nathalie ! ». Ma mère a commencé à pleurer tout de suite, elle ne désirait pas avoir une deuxième fille, elle voulait absolument avoir un gars. Les mauvais traitements ont commencé très tôt, alors que j’étais très jeune. Un jour, j’avais cinq ans, mon père est arrivé à la maison et il lui a demandé où j’étais. Il m’a trouvée dans ma chambre et a vu que j’étais blessée sévèrement, assez pour qu’il craigne pour ma vie. On m’a transportée d’urgence à l’hôpital, j’avais plein de bleus, une commotion cérébrale sévère. Il a menti aux médecins parce qu’ils voulaient appeler la police. Mon père se sent bien coupable de ça aujourd’hui, il dit qu’il aurait dû les laisser faire. Il était jeune, il avait peur pour notre famille, mais il savait que c’était grave. C’est deux ans plus tard qu’elle m’a abandonnée dans un bureau de la DPJ.

As-tu réussi à lui pardonner ?

Oui. J’ai des petites rechutes, mais c’est rare, je dirais que mon cœur est pas mal léger. Je sais qu’elle a beaucoup d’amertume, de souffrance et de colère dans son cœur. Et moi, je suis contente de ne pas avoir ça dans mon cœur parce que ça m’empêcherait d’être la personne et la mère que je veux être pour ma fille. C’est drôle à dire, mais je serais tellement heureuse de savoir qu’elle aussi retrouvera un jour le bonheur dans sa vie. Et qu’elle aille chercher l’aide dont elle a besoin parce que je sais qu’encore aujourd’hui, elle a beaucoup de colère à l’intérieur d’elle.

Nancy et son conjoint, Biram Sall, et leur fille Launa.

Tu demeures en contact avec ta mère ?

J’ai essayé de renouer avec elle il y a quelques années, mais c’était malsain. Elle ne m’aime pas, et même si tu persistes encore et encore, tu te fais juste du mal. On a essayé de recoller les morceaux, j’allais la visiter, mais je dis souvent que c’est comme lorsque tu as bâti une maison sur de mauvaises fondations. Et entre nous, il n’y en a pas de fondation. Comme l’amour n’est pas là, l’attachement n’est pas là non plus, et un jour, il faut être capable de laisser aller…

Quand tu jettes un œil sur ton parcours professionnel, la mère que tu es devenue, et ces révélations que tu as décidé de faire, tu dois être fière de toi ?

Je travaille là-dessus.

NANCY S’IMPLIQUE!

Chers amis,
C’est le cœur rempli d’amour et d’espoir que j’ai accepté d’être l’ambassadrice de la campagne La Bonne étoile pour la Fondation du Centre Jeunesse de Montréal. Notre vœu le plus cher est d’offrir un cadeau de Noël aux enfants de la DPJ, mais surtout de les aider tout au long de l’année. Aidez-nous à leur offrir du tutorat, des cours de danse ou encore des activités sportives.
Je vous invite donc à devenir une bonne étoile pour un enfant. Leur reconnaissance sera éternelle, et la mienne aussi. Merci xxx https://www.soyezlabonneetoile.ca/campagne

Nancy Audet, la journaliste…

Malgré cette enfance douloureuse, tu as réussi à prendre ta vie en main et à réussir ta carrière. Comment en es-tu devenue à vouloir être journaliste?

Honnêtement, Daniel, je ne le sais pas. Il y avait tellement peu de chance que ça arrive, en raison de mon background. Mes parents ne sont pas allés à l’école, mon père a une quatrième année, ma mère n’a pas terminé son secondaire. Ce n’étaient pas des gens politisés, personne ne travaillait en communication. Mon père était bucheron, ma mère était à la maison…

La seule réponse que j’ai à cette question-là est que mon grand-père Eugène écoutait tous les soirs les nouvelles. Aussi, il m’appelait tous les jours pour que j’aille chercher son Journal de Montréal au dépanneur. Et quand je revenais, on s’assoyait et on le lisait ensemble. Chaque soir, ou du moins très souvent, je regardais les nouvelles avec lui. Un jour, je devais avoir huit ou neuf ans, je lui ai dit : « Grand-papa, je pense qu’un jour ça va être moi qui vais te lire les nouvelles. » Il a éclaté de rire, en me prenant plus ou moins au sérieux, et vingt ans plus tard, il m’a vu un jour dans sa télé. Je sais que ça a été vraiment un moment spécial pour lui.

J’ai commencé ma carrière en Abitibi. Tu commences dans ta région natale et, on va se le dire, au début tu fais de ton mieux, tu es correct, mais tu n’as pas beaucoup d’expérience. Ça a commencé fort parce que chaque soir, mon grand-père me voyait au bulletin de nouvelles. Il m’a vue beaucoup à mes débuts, puis j’ai été journaliste à TVA à Gatineau, à Québec et Montréal. J’ai très longtemps travaillé aux nouvelles, une grande partie de ma carrière, avant de faire un passage aux sports en 2011. 

Photo: Daniel Daignault
Photo: Daniel Daignault

Tu as persisté pour réaliser ton rêve de devenir journaliste, as-tu fait face à plusieurs embuches ?

Je voulais tellement réussir, je voulais tellement prouver que j’étais capable de faire quelque chose dans la vie ! Que j’étais capable d’être quelqu’un. J’étais très déterminée, même dans les moments difficiles. Il y en a eu un en particulier, à TVA à Gatineau. On m’avait mis sur une grosse histoire, une grande fuite d’eau, et je me suis plantée en direct, mais solidement. Mon intervention en direct a été une catastrophe. Ça peut arriver que ce soit plus difficile durant dix ou quinze secondes pendant une intervention en direct, et tu te reprends, mais dans ce cas-ci, ça a été catastrophique du début à la fin. Je bafouillais, je n’étais pas capable de raconter l’histoire. J’avais tellement honte! Quand je suis revenue au bureau, je pleurais et j’entendais des collègues rire de moi dans la salle des nouvelles. Je me suis dit : « Nancy, ta carrière est finie! » Ma patronne s’appelait Danielle Young. Dans son bureau, elle me voyait pleurer et m’a dit : « Je comprends que tu pleures, je comprends que tu aies mal. C’est normal, on s’est tous plantés un jour. Tu vas retourner sur la grosse histoire, et je te donne la chance d’effacer ce que tu as fait aujourd’hui. Là, tu vas aller dormir, et demain tu vas être solide, tu vas nous montrer de quel bois tu te chauffes. »

Je suis allé faire le reportage le lendemain et je te dis, j’étais stressée! Mais j’ai livré la marchandise, j’ai été capable de faire le travail, et elle ma patronne m’a appris une belle leçon. Elle aurait pu m’enlever de là, me dire que je leur avais fait honte, mais elle a choisi de faire l’inverse. Quand il m’est arrivé dans ma carrière d’avoir des journées moins bonnes, ou d’être moins solide en direct, parce que j’en ai fait des centaines sur des grosses histoires où je n’avais pas de marge de manœuvre, je repensais à elle en me disant que ma prochaine intervention en direct allait être solide.

Photo: Daniel Daignault

Tu avais la conviction que ce métier était fait pour toi ?

Oui. C’est un milieu où il y a beaucoup de compétition et puisque j’étais une jeune journaliste qui voulait réussir, je fonçais, je proposais des sujets tous les jours, j’étais très proactive. Ma vie n’était consacrée qu’à ça, du matin au soir.

Tu as déjà eu maille à partir avec certaines personnes dans le cadre de ton travail ?

Dans le temps où je couvrais la politique municipale provinciale, je me souviens que le député Roch Cholette m’appelait « la tigresse »! J’étudiais mes dossiers et les députés savaient qu’ils allaient me revoir souvent et que j’allais bien sûr leur poser des questions. Il y avait un respect qui s’installait et ils avaient besoin de moi et des autres journalistes. Le sport, le culturel, c’est différent. Le plus difficile est d’avoir le respect parce qu’encore aujourd’hui, les gens prennent pour acquis que parce que tu es une femme, tu ne connais pas ça. Et tu n’as jamais droit à l’erreur. Jamais. Ne dis pas que tel joueur a marqué un but à 2 :53 si c’est à 2 :55, parce que je te jure que si tu es une fille, tu vas en entendre parler. Si t’es un gars, ça passe dans du beurre. Nous, on n’a jamais droit à l’erreur. Les plus tough, ce ne sont pas les athlètes ou les coachs, ils sont gentils. Ce sont les gens du milieu, les collègues. Il existe encore ce sentiment chez certains qu’on vole leur place… On est en 2019, revenez-en à un moment donné! Est-ce qu’on peut cohabiter? On a droit à notre place, on amène quelque chose de différent.

Photo: Daniel Daignault

Est-ce qu’il t’arrive parfois de penser que les choses auraient été différentes si tu avais été un homme?

Ça aurait été vingt fois plus facile, tout aurait été plus facile. Toutes les femmes l’ont plus difficile, c’est hallucinant. Pendant longtemps, j’avais peur d’en parler parce que je me disais que j’avais choisi ce métier-là, et que je devais vivre avec. Tu la fermes et tu endures, ça fait partie de la game. Mais plus je vieillis, plus je me rends compte que non. On est en 2019, et un jour ou l’autre, il faut que les femmes, on ait le courage de se lever. Je pense qu’il est temps que l’on change des choses, je pense qu’il est temps que l’on se tienne debout et qu’on arrête de se faire écraser quand on entre dans une salle des nouvelles. Et ce n’est pas seulement à la télé, c’est partout. Chaque fois que je parle à des collègues, à des femmes du milieu, c’est débile ce que j’entends. Encore aujourd’hui, il faut qu’on travaille deux ou trois plus fort que les hommes pour se faire une place.

Quand je suis passée aux sports, je pense que j’avais envie d’un peu plus de légèreté. Je tripe sur le sport et je me disais que j’allais avoir du fun. C’est une grande passion, et si je suis encore là aujourd’hui, toujours vivante, c’est beaucoup grâce au sport parce que j’en ai fait beaucoup et ça m’a vraiment aidée à me valoriser dans des moments difficiles. Bref, c’est différent, le sport, mais c’est aussi difficile pour une femme de se faire une place. Le sport, c’est un peu comme le milieu culturel dans lequel tu baignes depuis longtemps : c’est un petit milieu, tu vois les mêmes personnes tous les jours. Que tu couvres le Canadien, les Alouettes ou L’Impact, c’est difficile parce que si tu es le moindrement critique, on t’aime moins, on te fait la gueule, on t’évite et on ne veut pas te donner une entrevue.

Photo: Daniel Daignault

Tu couvres souvent la boxe, tu es LA spécialiste. C’est toi qui as manifesté ton intérêt pour ce sport ?

Oui, j’avais fait beaucoup de boxe dans ma jeunesse et je suivais ce sport depuis très longtemps. J’avais regardé énormément de combats, j’avais appris beaucoup. Je savais que si je passais aux sports, il fallait que j’aille dans une discipline que je connaissais et que je maîtrisais. Malgré le fait que je connaissais la boxe, ça a été quand même très difficile pour moi de faire ma place.

Nancy, en compagnie du boxeur Artur Beterbiev.

Que penses-tu de l’émergence des boxeuses québécoises comme Marie-Ève Dicaire et Kim Clavel ?

Ce qui est rassurant est qu’elles sont solides, les deux ont un vécu qui les a amenées à pouvoir se lancer chez les professionnelles. Il faut être vraiment solide entre les deux oreilles. Les gens n’ont pas idée ce que ça prend comme courage pour monter dans un ring. Mais en plus, pour survivre dans un milieu d’hommes comme celui-là, il faut vraiment être forte psychologiquement. Marie-Ève et Kim sont capables de tirer leur épingle du jeu, de se sentir bien et de se tenir droites.

Quel a été le moment marquant de ta carrière depuis que tu es aux sports?

J’ai couvert les Jeux Olympiques de Pékin en 2008, j’avais 30 ans, c’était incroyable. Ça a été une grande expérience, j’ai notamment couvert les huit médailles d’or de Michael Phelps. Mais dans ce temps-là, la pression était tellement forte que je ne savourais pas du tout le moment. Je te dirais que mon plus gros highlight a été d’avoir gagné la confiance des athlètes. Tu sais, quand Georges St-Pierre a annoncé sa retraite, je suis la seule journaliste à qui il a accordé une entrevue one-on-one. https://www.tvasports.ca/2019/02/21/la-retraite-pour-georges-st-pierre

Pour moi, c’est ça mon highlight, qu’un athlète me fasse ainsi confiance. Et cette année, Adonis Stevenson m’a accordé la première entrevue depuis son hospitalisation, j’ai trouvé que c’était une belle marque de confiance. Je suis contente de ça, j’aime faire des entrevues et raconter des histoires.

Biram, Launa et Nancy.

Ta plus belle histoire, c’est ta fille ?

Bien oui ! J’ai rêvé de ça toute ma vie et je ne savais pas que ça se pouvait, aimer comme ça ! J’aime profondément les enfants, et en raison de ce que j’ai vécu, pendant longtemps je n’ai pas voulu en avoir parce que je ne croyais pas que je serais capable d’être une bonne mère. Je pensais que je n’avais pas les outils, j’avais trop peur de ne pas être en mesure de donner l’amour dont un enfant aurait besoin. Je me disais : « Et si tout à coup j’ai ça en moi et que je répète ce que j’ai vécu avec ma propre mère ? » Je ne me faisais pas confiance et un jour, je suis tombée enceinte de Launa. Et j’ai vu les choses différemment, je me suis mis en tête que j’allais lui donner le meilleur de moi-même. Cet enfant-là va être toute ma vie et depuis qu’elle est là, c’est extraordinaire. Je ne compte plus le nombre de fois, dans la semaine, où je la regarde et que mon cœur se serre. C’est mon enfant ! Elle est drôle, très allumée et très affectueuse. Je suis reconnaissante et mon cœur est rempli de gratitude que la vie m’ait permis de vivre ça, parce que je serais vraiment passé à côté de quelque chose vraiment grand. Je suis fière de ce que j’ai réussi dans ma carrière, mais il n’y a rien qui accote la fierté et le bonheur que je ressens d’être mère. Donner la vie à un enfant, c’est la plus belle chose du monde et j’aimerais qu’on valorise beaucoup plus ce rôle-là qu’on a de mettre au monde un petit être humain. Launa exprime beaucoup ses émotions, contrairement à moi qui, longtemps, n’étais jamais capable de dire « Je t’aime ». Je la regarde aller et je trouve ça extraordinaire. L’autre jour, je l’ai laissée à la garderie, elle était sur le trottoir et partait avec les autres enfants lorsqu’elle s’est retournée vers moi et m’a dit : « Maman, je t’aime, toi, ma maman ! » Ça venait tellement de son cœur ! Mon cœur a fait « Boum ! ». Je lui ai dit : « Ben moi je t’aime, toi, ma fille ! »

Nancy fait une pause, étranglée par l’émotion. Incapable de parler, les yeux embués. Après un moment, elle reprend : « Je suis tellement contente aujourd’hui d’être capable d’aimer, de ressentir tout cet amour-là. Il y a beaucoup beaucoup de cheminement derrière ça. »