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Geneviève Guilbault, ministre de la sécurité publique et vice-première ministre

« Depuis deux ans, j’ai réalisé une foule de rêves que je n’ai même pas eu le temps d’avoir comme rêves! »

Je ne vous cacherai pas que j’avais hâte de rencontrer cette communicatrice hors pair qui démontre tant d’aplomb depuis son entrée en politique. Geneviève Guilbault, vice-première ministre, ministre de la Sécurité publique et ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, a d’importantes responsabilités et sans doute beaucoup de pression sur les épaules. La ministre a eu des dossiers chauds à traiter et c’est sans doute loin d’être terminé. On pense aux inondations du printemps 2019, notamment à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, et bien sûr, le dépôt de son livre vert en décembre qui va présenter un portrait de la réalité policière et des pistes de réflexion  sur le corps policier.

Par Daniel Daignault

C’est dans sa circonscription, au restaurant Quai 1635, que Geneviève Guilbault m’avait donné rendez-vous en juillet dernier, peu avant ses vacances estivales. Accompagnée de son attachée de presse Amélie Paquet et d’un garde-corps, la femme qui célébrera son 37e anniversaire de naissance le 9 novembre s’est amenée en toute discrétion, dans la mesure où plusieurs personnes l’ont reconnue et qu’elle n’a pas manqué de les saluer. Première constatation : superbe dans sa robe rouge paysanne, un grand sourire accroché aux lèvres, cette femme a beaucoup de charisme et est éminemment sympathique. Et drôle aussi. On décèle aussi chez elle une certaine timidité qui ne fait qu’ajouter à son charme. Geneviève demande à ce qu’on nous installe un peu à l’écart sur la terrasse, en cette chaude journée nuageuse. « Je vais être plus à l’aise pour faire l’entrevue », dit-elle. Elle retire ses verres fumés pour laisser voir de grands yeux bruns, et tout au cours de l’entrevue, comme pour ajouter encore plus de poids à ses propos, son regard ne quittera pas le mien.

Vous êtes une excellente communicatrice, on ne vous sent jamais prise au dépourvu, vous n’avez jamais le verbe hésitant. C’est une belle et grande qualité dans les fonctions que vous occupez!

Je pense que la communication est un volet très important de la politique de nos jours, avec l’omniprésence médiatique. Heureusement ou malheureusement, le fait est que je pense que la maitrise de la communication, ou du moins la prise en compte de la communication peut faire le bonheur ou le malheur d’un politicien. Ou d’une situation, ou de la perception par les citoyens. Moi, je dois avouer que mes collègues m’impressionnent, les nouveaux ministres qui n’avaient jamais été députés avant et n’avaient jamais fait de politique. Quand je regarde entre autres ma collègue aux Affaires municipales (Andrée Laforest), ma collègue à la santé (Danielle McCann) qui arrivent dans cette espèce de jungle parlementaire et parviennent  à bien composer avec ça, ça m’impressionne beaucoup de voir les talents spontanés ou insoupçonnés de communicateurs de toutes sortes de personnes, qui viennent de toutes sortes de milieux qui n’ont pas rapport avec la communication, contrairement à moi qui viens de là.

Geneviève Guilbault a étudié en journalisme, en presse écrite, elle a obtenu son baccalauréat en 2006 et sa maitrise cinq ans plus tard.

Au moment de notre rencontre, la mère de Capucine, née le 27 décembre 2017, était déjà enceinte de son deuxième enfant – dont la naissance est prévue à la fin de l’année 2019 –, mais c’était alors un secret bien gardé. Je lui avais bien sûr demandé si son conjoint et elle pensaient avoir un autre enfant.

« C’est quelque chose qu’on regarde, parce que c’est l’fun d’avoir un frère ou une sœur dans la vie… mais il faut le fabriquer! avait-elle dit en riant. On envisage ça, on n’a pas le contrôle, mais on est bien confiant. » C’est le 18 août qu’elle a annoncé publiquement qu’elle allait de nouveau être maman. Fin de la parenthèse.

Le conseil des ministres, octobre 2019.

On peut dire que depuis deux ans, votre vie a vraiment basculé?

On est en juillet, et en juillet il y a deux ans, on préparait mon annonce de candidature pour Charlesbourg, pour l’élection générale. J’étais enceinte à ce moment-là. Le 30 août, on m’avait annoncée dans Charlesbourg, et le 10 septembre, onze jours après, on m’annonçait comme candidate dans Louis-Hébert, où je prenais le relais du candidat.

Enceinte, avec ce changement inattendu de circonscription, vous n’avez pas hésité à sauter dans le train?

Pour le plan à long terme de l’élection générale de 2018, c’était tout réfléchi, j’avais le temps d’accoucher. La naissance de ma fille était prévue pour Noël 2017 et l’élection était en septembre 2018, je pouvais profiter de mon congé de neuf mois entre les deux. Le timing, le hasard, l’accouchement, tout ça était parfait dans le calendrier. Mais quand on m’a proposé Louis-Hébert, j’ai dû prendre ma décision très très rapidement. Ça a été comme une véritable semaine condensée en une nuit! On m’a appelée l’après-midi et j’ai dit non, et en fin de journée j’ai commencé à l’envisager. Puis, le lendemain matin, très tôt, j’ai annoncé ma décision. Ce n’était pas seulement parce que j’étais enceinte, Louis-Hébert est un comté très libéral, on a toujours dit que c’était un château fort libéral, alors que moi je voyais de belles perspectives à l’élection générale dans Charlesbourg l’année suivante. Je trouvais que je ne m’exposais pas aux mêmes perspectives, mais bref, j’avais l’homme, toujours, à qui j’ai demandé s’il voulait prendre le congé parental si j’étais élue, et puisqu’il m’a dit oui, alors on l’a fait.

Geneviève Guilbault en compagnie de sa fille Capucine, lors des vacances estivales en août 2019.

Il vous a appuyée et encouragée à y aller?

C’est quelqu’un qui est assez en retrait, en ce sens qu’il est très partie prenante au projet familial, mais ce n’est pas quelqu’un qui va nécessairement m’influencer, ou émettre des opinions « pour ou contre ». Dans le fond, il m’a dit que si c’était possible pour lui de m’accommoder dans mes décisions, ça allait lui faire plaisir. Ça se fait à deux les enfants et lui, honnêtement, il adore être en congé parental. Et si on a un autre enfant, il va vouloir reprendre un congé sans problème.

Et un an et demi plus tard, vous goûtez pleinement à votre rôle de mère?

J’ai un bon bébé, un très bon bébé, je pense. Elle est calme, ne pleure pas et ne crie pas et n’est pas réfractaire aux étrangers. Je suis bien contente, et si j’en ai un deuxième comme elle, je vais être bien contente d’en avoir eu deux si sages.

Bien sûr, avec les fonctions qu’elle occupe au sein du gouvernement, Geneviève Guilbault est très en vue et est appelée régulièrement à faire le point sur différents dossiers. Nous avons évidemment discuté de son travail, mais je voulais en savoir un peu plus sur la femme derrière la politicienne.

« Je suis très cartésienne, mais je suis quelqu’un qui aime avoir de belles et bonnes soirées en privé avec mes amis. Je ne suis pas du genre à aller faire du karaoké dans les bars… parce qu’on le veuille ou non, lorsqu’on est en politique, on devient un personnage public. Sans les contraintes de mode de vie qui sont tout à fait normales, je serais du genre à me coucher très tard et à me lever très tard. Quand j’étais plus jeune, quand j’étais aux études, j’étais plus dans ce beat-là. Même qu’il m’arrivait souvent de ne pas dormir parce que j’étudiais de nuit.

Vacances estivales, août 2019.

Dans quelles circonstances avez-vous appris que M. Legault voulait vous confier toutes ces tâches ?

La veille à l’assermentation des députés, il m’avait félicité et m’avait glissé à l’oreille qu’on allait travailler fort. Je n’avais pas l’impression qu’il parlait de moi, mais plutôt de tout le monde au gouvernement. Ce n’était pas très précis. Et quand tu reçois un appel le lendemain, la journée qui précède l’assermentation du Conseil des ministres, annonçant que M. Legault veut te rencontrer, tu ne présumes de rien, mais en même temps tu as un doute. Donc, quand il m’a annoncé qu’il voulait que je sois vice-première ministre, ministre de la Sécurité publique et ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, c’était une belle charge! J’étais prête à tout et j’étais vraiment super contente.

Vous avez été surprise par son offre?

Vice-première ministre! Il y a un an, je n’étais pas dans ce milieu! Et en plus, moi j’adore Québec, je suis très chauvine de Québec. Et quand il m’a dit que j’allais être ministre de la Sécurité publique…  je ne lui avais jamais dit que j’aimerais ça. C’est comme si j’avais réalisé depuis deux ans une foule de rêves que je n’ai même pas eu le temps d’avoir comme rêves! Je digère ça, j’absorbe tout ça, et je suis tellement heureuse et humble par rapport à ça, parce qu’il y a des gens qui ont travaillé depuis pas mal plus longtemps que moi en politique, super fort aussi, et pour toutes sortes de questions de timing, ils ne seront peut-être jamais ministres. J’en suis consciente et je travaille beaucoup, je ne veux tellement rien négliger et que les citoyens soient satisfaits parce qu’ils m’ont donné cette chance-là en m’élisant. J’en suis très reconnaissante. Parfois, je suis chez-nous dans mon salon, je bois mon petit alcool brun (de l’Amaretto, qu’elle a sans aucun doute délaissé depuis qu’elle est enceinte !) et je me dis : « Mon Dieu, c’est fou! Quelle belle vie! »

Les postes que vous occupez, l’anonymat qui n’existe plus, la conciliation travail-famille, comment composez-vous avec tout cela?

C’est sûr qu’il faut toujours faire attention, ne serait-ce que pour l’apparence physique. Parfois, les gens me demandent ce qui a changé, à quel point ça peut être différent, par exemple quand je vais entre autres à l’épicerie. Souvent, je m’y rendais à Saint-Augustin, près de chez nous, avec un petit one piece léger, peu couverte, mais je ne fais plus ça. Il faut que je m’arrange un peu, qu’il y ait un minimum de présentation en général, parce que je sais que les gens vont m’aborder, que je vais discuter avec eux. Si ça ne me plaisait pas, j’enverrais l’homme à l’épicerie, mais j’aime ça, je me promène avec ma petite, et j’aime que « le vrai monde de la vraie vie » me parle, c’est la base.

L’opinion du citoyen avant tout?

À l’Assemblée nationale, on est dans une bulle et c’est nécessaire, c’est là qu’on fait les lois. Mais moi, le vrai écho que je cherche à avoir, c’est du monde directement chez-nous, chez-nous étant Québec plus généralement, parce que je suis ministre de la Capitale. Quand je vais au Grand marché de Québec, quand je suis en ville, les gens me reconnaissent, m’abordent et me parlent, et j’apprécie beaucoup. Je suis chanceuse parce que depuis que je suis en poste, en plus, c’est toujours positif. Remarquez que les gens qui ne m’aiment pas ne viennent peut-être pas me voir! Prendre des décisions toute seule dans mon bureau durant quatre ans, ce n’est pas la façon dont je veux travailler.

En juin dernier, un sondage réalisé par La Presse+ auprès de vos collègues vous a désigné, vous et Simon Jolin-Barrette, comme les meilleurs parlementaires. Quelle a été votre réaction?

J’avoue que ça m’a beaucoup flattée. Je reçois beaucoup de commentaires positifs et en fin de session, on a les bulletins ministériels et je trouvais que dans l’ensemble, la critique n’était pas si pire à mon endroit. Au moins, on s’en sort bien du côté médiatique. Mais quand ça vient de tes propres collègues, je trouve ça particulièrement flatteur, effectivement, de voir qu’ils considèrent qu’on travaille bien. Je pense aussi que nous sommes des personnes d’équipe. Je vais laisser Simon répondre pour lui, mais moi je suis une fille d’équipe : j’aime mes collègues, je les encourage, je leur dis qu’ils sont bons. Ce n’est pas tout le monde, justement, qui peut être le premier dans ces sondages-là, dans les palmarès et dans les médias en général. Il y a beaucoup de monde qui est excellent en coulisses, et moi je suis la fille qui va toujours dire aux autres qu’ils sont bons. Je trouve vraiment qu’il y a de bonnes personnes, connues ou non, et je trouve important de le dire aux gens.

Les vacances vont être bien méritées cet été (elle a profité de deux semaines de congé au début d’août), avec un printemps super occupé, entre autres les inondations à Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Vous avez trouvé cela difficile?

Ça a été un printemps mouvementé, et comme je le dis souvent, ce n’est pas tant pour moi que pour ceux qui ont vécu ça, et pour qui ça continue. La période de crise est passée et on est dans le rétablissement. Il y a toujours la perception qui est un peu dommage, soit de dire que lorsque c’est la crise, on est là, on est partout, et que les médias sont là. Mais quand les médias s’en vont, on ne s’en occupe plus. Ce n’est vraiment pas ça, on continue de s’en occuper, mais d’une façon différente. Je veux que les dossiers des citoyens soient traités beaucoup plus rapidement qu’avant, c’est pour cela que j’ai fait un nouveau programme. Je veille au grain, je peux vous assurer que je fais mes suivis chaque semaine. Est-ce qu’on règle des dossiers et des problèmes? Il y a des municipalités qui ont plus de problèmes, alors je m’assure de faire des suivis très assidus, et le suivi des inondations est l’une de mes priorités, même si c’est dans la plus grande discrétion.

Quand on a à composer avec des situations comme celles-là, et je pense aussi à l’accident ferroviaire de Lac-Mégantic ou la tuerie de la grande mosquée de Québec (à l’époque, elle était porte-parole et chargée des communications du Bureau du coroner), vous avez du mal à ravaler vos émotions?

Effectivement, quand j’étais à Mégantic, juste avant de faire nos points de presse avec la Sûreté du Québec, il nous est arrivé, par exemple, d’avoir à anoncer à une famille qu’on avait trouvé leur fille, leur fils… C’est un métier, donc on apprend à composer avec ça pour l’image et la façade, si l’on peut dire, mais en arrière de la façade… Quand je finis mon point de presse ou que je quitte la ville où je me suis rendue, quand il n’y a plus de journaliste autour de moi et que j’arrive dans mon bureau, je dis au monde qu’il faut comprendre la détresse que ces gens-là vivent. Oui, l’image et le leadership, c’est important, mais on ne peut même pas imaginer, vous et moi, ce que ces gens vivent. On n’est pas dans des zones inondables, ça ne nous arrivera probablement jamais, et souvent ce n’est pas la première fois que ça se produit. Ils ont été inondés il y a deux ans, ils viennent de finir tes travaux, leur terrassement, et ça recommence. J’ai dit qu’il fallait absolument, au-delà des médias, de la crise et de tout ça, d’essayer d’améliorer la vie de ce monde-là, et que oui, ça passe par une indemnisation plus rapide et qu’il fallait éviter de construire en zones inondables. Ça, c’est un gros chantier qu’on doit faire au Québec. La construction en zones inondables, l’aménagement du territoire, c’est quelque chose dont personne ne s’est malheureusement occupé avant. Alors oui, toute cette détresse-là me touche énormément.

En somme, dans vos fonctions antérieures, vous avez eu à faire face à la détresse humaine à plusieurs reprises?

J’ai travaillé huit ans au bureau du coroner, presque au quotidien, à parler avec des proches endeuillés. Au bureau du coroner, ce sont seulement des décès obscurs, violents, donc souvent inattendus, c’est-à-dire des accidents, des suicides et tout ça. Donc, encore là beaucoup de détresse. À mon humble échelle, j’ai tenté d’aider ces gens-là, ne serait-ce qu’en leur répondant, parce que parfois tu appelles au Gouvernement et ça ne répond pas, ce sont les boites vocales. Alors moi je leur répondais, je leur laissais mon numéro et je leur disais de me rappeler s’ils avaient des questions. L’accessibilité, servir les gens, on est payés avec les fonds publics et ce n’est pas normal qu’un citoyen ne soit pas capable de rejoindre quelqu’un au gouvernement, ne soit pas capable d’avoir de l’information. Malheureusement, ça ne veut pas dire de donner toujours la réponse qu’il veut entendre, parce que parfois, il y a des contraintes. Sauf que le fait d’avoir quelqu’un qui répond, qui t’explique pourquoi c’est long, pourquoi ça ne marche pas, pourquoi ça coûte tel montant, c’est important. C’est tout ça, l’esprit de service public, que je transpose en politique et qui m’a toujours animé depuis que je travaille au gouvernement. J’ai travaillé douze ans en Sécurité publique avant d’en être ministre, et j’ai toujours essayé de faire mon travail avec vraiment cet esprit de service public.

Vous faites partie de cette nouvelle génération de politiciens qui veut être au service des citoyens, avez-vous l’impression que par votre travail, vous allez inciter des plus jeunes à se lancer en politique?

Inspirer des gens, c’est un thème qui est général. Est-ce que c’est vraiment moi? Est-ce que ce n’est pas notre époque au complet? Je pense qu’il y a une ère du temps. Quand je suis arrivée dans ma partielle, je pense que le renouveau politique était une soif qui était latente dans la population. On a eu le même profil de députés pendant longtemps et moi, j’étais la potentielle députée très atypique : jeune, femme, enceinte. Et j’ai obtenu cinquante et un pour cent des votes dans ce qui était connu comme un château fort libéral. Oui, on a travaillé fort et il y avait le contexte politique, mais je pense vraiment qu’il y avait une soif d’avoir quelque chose de nouveau, et que ça passe par les jeunes. Les plus jeunes, pour moi, c’est 40, 45 ans et moins. Il y a quelque chose qui se passe, j’en parlais justement récemment: il y a beaucoup de combats qui ont été menés, bien avant moi et bien avant nous, par des femmes et pour les femmes, pour faire une place aux femmes. Et je pense que ma génération et les suivantes, nous sommes un peu à la fois le produit de ça et la cristallisation de cet héritage-là. Dans le sens où je regarde Simon (Jolin-Barrette) et les autres de mon âge, et aussi les 40-45 ans, et je pense que dans nos têtes, ça va de soi que les jeunes, les femmes, les minorités en général, que chacun doit avoir sa place.

Geneviève Guilbault, lors de la campagne électorale, en septembre 2018.

Donc, vous constatez un net changement de mentalités ?

Je crois que bientôt va venir un temps où l’on ne sera pas plus dans une mentalité de quotas ou de parité, parce que c’est encore un petit peu ça. Je ne dis pas que les femmes qui sont nommées en fonction de la parité ne sont pas des femmes compétentes, mais je pense qu’on va bientôt être complètement affranchi de ces affaires-là, c’est-à-dire les quotas, les cibles, la discrimination positive. Ce n’est pas qu’elle n’était pas nécessaire, mais si un jour, je m’imagine dans une situation de gestion, je vais prendre les CV et homme, femme, jeune, vieux, blanc, noir, on va être ailleurs. Tout ça va se passer naturellement, et les filles qui sont à l’école en ce moment, ma fille, nos filles, nos petites-filles, vont être dans une mentalité qui sera complètement renouvelée. Elles vont prendre leur place, mais ce sera naturel, et il y a déjà beaucoup de femmes décisionnelles partout. Oui, c’est peut-être parti de cette espèce de mentalité de quotas qui était de dire que ça allait bien paraître de nommer une femme. Il a fallu ça, je pense, mais à un moment donné, ça va vraiment se faire tout seul.

Que pensez-vous de ces nombreuses femmes qui, après avoir occupé le même emploi durant plusieurs années, décident de quitter pour un tout autre domaine, pour se lancer à fond dans quelque chose qui les passionnent?

J’ai tellement d’admiration pour les gens qui changent de vie comme ça, en cours d’existence. Je trouve ça extraordinaire et quand on lit des témoignages de femmes qui étaient pdg ou directrice des ressources humaines dans une compagnie, et qui se partent, par exemple, une entreprise de cuisine végé ou de traiteur à domicile, je trouve ça admirable et ces femmes-là dégagent le bonheur. Ça peut ou non fonctionner, mais je suis certaine que même si ça ne fonctionne pas, elles sont beaucoup plus heureuses d’avoir essayé, de savoir qu’elles sont allé au bout de leur idée et n’ont pas de regret. D’une certaine façon, moi aussi j’ai changé brutalement de vie, et je suis très fière de celà. En politique, tu ne sais jamais quel sera ton lendemain; si je ne suis pas réélue, je n’ai pas de job assuré qui m’attend. Il faut composer avec une part d’inconnu et avec l’après, mais il ne faut pas avoir de regret, la vie est tellement courte! J’ai toujours les deux mêmes préceptes selon lesquels je vis personnellement : soit d’embrasser les défis et valoriser son équipe. Je considère que c’est la base et si tu appliques ça, tu mets des bonnes chances de ton côté pour être à la fois heureuse et avoir du monde heureux autour de toi, et que tes choses fonctionnent bien. Parce qu’on est rien sans une équipe.

Geneviève Guilbault, lors de sa visite à Lachute, lors des inondations du printemps 2019.

Justement, puisqu’on en parle, avez-vous un plan de match pour la suite des choses? Vous croyez faire carrière longtemps en politique?

Honnêtement, je ne pense pas vraiment à ça, parce que je viens d’arriver et j’espère bien qu’on soit réélus en 2022, et que je sois là, donc, au moins jusqu’en 2026. Dans un monde idéal, et même après 2026. De façon réaliste, j’espère une réélection en 2022 et qu’on ait jusqu’en 2026 pour travailler et faire ce qu’on a à faire. C’est sûr que ça vient avec une part d’inconnu et je vis bien avec ça. La vie est bien faite, la vie a été bonne pour moi jusqu’à maintenant, et je verrai où j’en suis, comment je me sens. Peut-être que je voudrai faire complètement autre chose, comme acheter un gym et donner des cours d’aérobie!

Un gym et des cours d’aérobie?

Oui, c’est un vieux rêve que j’avais, j’ai d’ailleurs donné des cours d’aérobie à une époque et je m’entraînais beaucoup avant de faire de la politique. C’était mon rêve à l’époque, bien avant de faire de la politique, et peut-être que ce rêve-là va revenir, ou que je voudrai m’établir dans un autre pays, on ne sait pas! On change en vieillissant et au fil des expériences, il arrive que tu te dises que ce chapitre-là est clos, que tu l’as fait en masse, que tu souhaites faire autre chose. Je ne le sais pas. Et à l’inverse, je suis quelqu’un qui communique beaucoup, alors peut-être que je vais rester là-dedans toute ma vie. J’ai confiance en la vie, j’ai confiance en mon CV et en mes capacités, et on verra le jour venu ce que j’aurai envie de faire.

Diriez-vous que vous avez le bonheur facile?

C’est une bonne question! Ça dépend ce qu’on entend par bonheur facile, mais je pense que oui. C’est sûr que je suis quelqu’un d’hyperréaliste, et ça vient parfois avec une part de désillusion. Je suis très terre à terre, je vois la séquence des choses de manière hyperréaliste, donc il y a peut-être moins d’émerveillement. Pour moi, le bonheur pur, c’est le moment où j’ai une journée ou un moment de congé, je suis chez moi, et j’écoute mon Columbo!

Columbo?

Oui, ou Perry Mason! Je suis abonnée à la chaîne Prise 2, j’ai toutes ces belles vieilles émissions qui sont diffusées, et en ce sens-là, oui, j’ai le bonheur facile!

Le bonheur, c’est aussi la vie familiale, créer des souvenirs avec votre fille, passer le plus de temps possible avec elle?

Oui, et c’est une beauté d’avoir des enfants. Elle découvre plein de choses et elle va avoir deux ans à Noël, et les futurs Noëls par la suite, j’ai super hâte à tout ça. Et si un jour j’ai un autre enfant, ce sera un bonheur de les voir se lever, être contents et déballer le cadeau. Je dis LE cadeau, parce que j’aimerais ça ne pas trop donner de cadeaux à mes enfants. J’ai juste un enfant pour l’instant, et c’est le premier petit-enfant dans la famille, donc c’est des cadeaux et des cadeaux…

La ministre, faut-il le rappeler, ignorait ou du moins n’avait pas encore annoncé qu’elle attendait un deuxième enfant. Avec son nouveau mode de vie, l’arrivée de sa fille, elle avoue qu’elle ne fait plus autant d’exercice qu’auparavant.

« J’étais très sportive jusqu’en décembre 2017 et avec la politique, j’ai arrêté, puis j’ai accouché, et je n’ai pas repris mon beat. Je suis vraiment bien happée dans mon cycle de sédentarité. Je me promène avec ma fille, mais avant, je m’entraînais quatre ou cinq fois chaque semaine en faisant de l’aérobie. J’envisage de peut-être faire de la course éventuellement, ça pourrait être un bon sport, beaucoup de gens font de la course. Peut-être que je pourrais l’essayer. Il faudrait que je m’y remette, ça me déprime de penser au fait que je ne fais plus de sport. J’ai fait de l’aérobie durant dix ans, jusqu’en 2017. J’ai d’ailleurs fait ma formation d’instructeur en 2012, et j’ai donné des cours en 2012 et 2013.

L’achat d’un gym, c’était sérieux?

Oui, je n’ai fait aucune démarche en ce sens, mais dans ma tête, c’est quelque chose qui m’aurait vraiment intéressée. Et l’homme étant un grand sportif aussi, je pourrais l’engager dans mon gym, ce serait quelque chose de familial… Mais bon, je ne veux pas que les gens pensent que je suis sur le point de lâcher mon job pour aller acheter un gym, mais c’est un exemple d’un projet qui constitue un changement complet de vie.

Puisqu’il arrive rarement que j’aie devant moi une personne de la classe politique, je n’allais pas rater l’occasion de lui parler du fait qu’il y a beaucoup de cynisme face aux politiciens.

Lorsqu’on voit ce qui se passe lors de la période des questions, il y a souvent matière à être encore plus cynique. On imagine que dans une réunion d’un conseil d’administration, quelqu’un mettrait son poing sur la table et dirait : « C’est assez le niaisage, on a du travail à faire ! » Et à quand le jour où l’on va entendre un élu dire tout haut que l’idée d’un adversaire est brillante et qu’il envisage d’aller au bout de cette idée?

Ça arrive à l’occasion, mais pas lors de la période de questions. La période des questions, c’est la pire affaire. Un citoyen qui regarde uniquement ça, effectivement, c’est décourageant. C’est la dynamique même, les oppositions sont là pour s’opposer. Sinon, si les adversaires font juste se lever et disent que le gouvernement travaille donc bien… c’est une bonne affaire qu’ils ne nous aient pas élus, ça n’aurait pas de bon sens. Tu as des oppositions qui s’opposent, et le gouvernement qui dit qu’il travaille bien. Peu importe qui sont les partis et à quelle place, c’est toujours le même concept. En même temps, dans une saine démocratie, ça prend des oppositions. Par contre, j’essaie de reconnaitre le bon travail qui est fait. C’est sûr que lorsque tu as des dossiers comme les miens, prenons les inondations par exemple, c’est ce que j’ai de plus gros en ce moment, quand je vois qu’ils n’ont rien fait avant moi pendant quinze ans, je ne peux pas dire : « Merci pour ce que vous avez fait ! » Et eux, en même temps, sont obligés de se lever et de faire comme si le gouvernement ne faisait pas son travail, mais ils le savent, eux, qu’ils n’ont rien fait. Je me mets parfois à leur place et je me dis que ça ne doit pas être évident, quand tu as déjà été au pouvoir, soit le PQ ou les Libéraux, et qu’il faut que tu te lèves pour critiquer quelque chose, alors que tu sais très bien que tu n’as pas fait le travail à ton époque. Mais cela dit, en commission parlementaire, je vous dirais qu’il y a plus de place pour la collégialité quand les gens sont de bonne foi. Quand j’ai déposé le projet de loi no 1 de notre gouvernement, dont nous étions très fiers, je me souviens d’avoir eu une très bonne entente avec le député de QS (Québec Solidaire). Quand on travaille intelligemment… Je suis très ouverte à ça, et il faut voir comment les gens ont envie de travailler. Il y a une dose de rivalité et de partisanerie, et parfois presque d’animosité qui vient malheureusement avec la dynamique. Il faudrait voir si l’on veut reformer le parlementarisme, ça, c’est un tout autre débat, mais dans la formule actuelle, malheureusement, on est condamné à ça.

Regards de femmes, c’est aussi l’occasion pour les femmes interviewées de s’exprimer sur des sujets qui leur importent. Vous vouliez me parler en particulier des enfants et des ainés?

Oui, ça me tient vraiment à cœur, et pour les ainés, je trouve que ça n’a pas de bon sens le contexte dans lequel ils se trouvent. Ils vivotent dans des taudis, quand ils ont payé de l’impôt toute leur vie. Il y a une grosse job à faire et quand je parlais des collègues que j’admirais, Marguerite Blais est probablement celle qui travaille le plus. Elle travaille sept jours sur sept, elle est toujours en train de visiter des résidences de personnes âgées, et ce ne sont pas des petites visites qu’elle fait. Elle mange avec eux, elle danse avec eux, elle leur fait des massages, et il ne faut pas oublier qu’elle aussi est débordée. Je pense que grâce à elle, on va réussir à faire quelque chose pour nos ainés. Ce n’est pas mon dossier, mais ça me touche personnellement, parce que nos parents et nos enfants devraient être notre base. On est un gouvernement économique, d’entrepreneurs, et on veut créer de la richesse, attirer des investissements privés, faire plus d’exportation, mais toute cette richesse-là, elle sert à quoi au final? C’est pour nos parents et nos enfants. Ce n’est pas tout le monde qui a des enfants, mais tout le monde a des parents. Alors oui, ça me tient beaucoup à cœur.

Et les enfants ?

Je pense à l’histoire concernant la DPJ survenue il y a quelques mois (elle fait allusion au drame survenu à Granby à la fin avril, alors qu’une fillette de 7 ans a été retrouvée dans un état critique à la résidence familiale, et elle est malheureusement décédée le lendemain), ça n’a aucun bon sens. Quand j’étais au bureau du coroner, j’en ai vu des histoires de fous dans des centres jeunesse, entre autres une petite fille qui est décédée d’une septicémie. Une septicémie, tu ne meurs pas de ça normalement si c’est traité. Elle ne filait pas, elle est partie dans sa chambre, on l’a laissée là et le lendemain matin, on l’a trouvée morte. C’est difficile de fixer une responsabilité ou une imputabilité là-dedans, parce que c’est un problème systémique. Ça a des ramifications dans les lois, dans la santé, dans l’éducation et dans la famille, donc c’est un énorme chantier. On a la commission Laurent qui a été mise sur pied et j’espère que ça va donner des résultats, je pense qu’on ne peut pas faire pire que rien du tout. Au moins il y aura ça. Alors oui, ça me tient à cœur, ça me déchire des histoires comme celles-là. 

À 36 ans, quels sont vos rêves personnels?

Je dirais que j’en ai réalisé pas mal jusqu’à maintenant, et mon rêve est bien terre à terre, c’est d’avoir une famille. Avoir un autre enfant en santé et de voir mes deux enfants bien grandir et être heureux,  que tout continue à bien fonctionner.

Diriez-vous que vous êtes trop sage?

Pas trop sage, mais je suis vraiment axée sur ma carrière, et le reste de mon temps va à la famille et les amis. Mes rêves, justement, sont peut-être plus de nature professionnelle, et encore là, j’en ai accompli énormément, des choses auxquelles je n’aurais jamais osé rêver.

L’expression est utilisée fréquemment, à toutes les sauces, mais à l’écouter me répéter à quel point elle adore ce qu’elle fait et travaille fort, je lui ai demandé si elle avait l’agréable impression d’être sur son X. « Je considère que oui. J’ai une bonne équipe, comme je le disais, et il s’est passé beaucoup de choses en condensé, en un an, un an et demi, et je trouve que malgré tout, je me suis bien adaptée. Je ne m’en sors pas trop mal, les commentaires sont bons, alors je me dis que je pense que je suis à la bonne place. Sinon, ça aurait transparu, peut-être que les transitions et le passage rapide auraient été plus difficiles.

Vous êtes manifestement une passionnée, du genre à vous investir à cent pour cent dans ce que vous faites?

Oui, c’est une passion pour la politique et le service public. J’ai voulu faire de la politique parce que comme citoyenne, il y avait bien des affaires qui me décourageaient et j’ai décidé d’y aller. Chialer et ne rien faire, ou critiquer l’idée de quelqu’un sans faire de contre-proposition, j’ai de la misère avec ça. Et maintenant, je le répète souvent à mon équipe : le citoyen, le contribuable qui nous appelle, il paie nos salaires. On n’est pas désincarné, cet argent-là qui rentre aux deux semaines et avec lequel on donne à des organismes et tout ça, ce n’est pas par miracle : il vient des impôts du monde. Et ce monde-là, s’il nous demande quelque chose, il faut lui répondre, c’est pour lui qu’on travaille. Il faut que les gens soient satisfaits et aient l’impression de payer des impôts pour les bonnes raisons, incluant nos salaires.