Lysanne Richard est une athlète qui sort de l’ordinaire, une femme déterminée et inspirante. Elle est plongeuse de haut vol, ce qui l’amène à s’élancer dans le vide d’une hauteur de 20 mètres, parfois plus, dans des endroits à travers le monde à couper le souffle. Cette mère de 3 enfants âgée de 38 ans a travaillé au Cirque du Soleil et entamé il y a cinq ans cette carrière sur le circuit Red Bull Cliff Diving où elle n’a pas tardé à s’illustrer lors des diverses compétitions qui se déroulent partout dans le monde.
Texte et photos: Daniel Daignault
Cette entrevue a été réalisée bien avant la pandémie, ce coronavirus qui a bouleversé la vie de tout le monde. Lysanne a vu la saison du circuit être annulée, comme tant d’autres événements. Il devait y avoir neuf événements, à compter de mai jusqu’en novembre, et elle s’attendait à vivre sa plus grosse saison depuis qu’elle fait du plongeon de haut vol. « Je devais prendre l’avion le 8 mai pour Bali », dit-elle.
Nous avons discuté à quelques reprises Lysanne et moi au cours des dernières semaines, question de faire le point sur la situation. La saison 2020 du circuit Red Bull Cliff Diving a été annulée, mais théoriquement, la dernière compétition de la saison, prévue en Australie en novembre prochain, devrait avoir lieu. Si cela se concrétise et si c’est possible compte tenu de la situation mondiale, il se pourrait fort bien qu’elle s’y rende pour y participer.
Cela dit, il y a deux choses importantes et d’actualité à retenir concernant le plongeon de haut vol. « Quand j’ai commencé à m’entraîner au Parc olympique en 2015, raconte Lysanne, j’ai parlé de l’idée d’installer un plongeon de 20 mètres. On a d’abord agrandi la plateforme à 18 mètres, et c’était un projet mené par le Parc olympique et moi, puis on a invité les gens de Plongeon Québec et de Plongeon Canada à y participer, mais c’était notre bébé et nous avons fait toutes les démarches nécessaires pour y arriver. »
En février dernier, on annonçait que cette plateforme de 20 mètres allait voir le jour en mars, ce qui suscite énormément d’intérêt et qui va permettre à quantité d’athlètes d’ici et d’ailleurs de s’entraîner chez nous. « Ça a été un beau travail d’équipe avec Alain Larochelle (vice-président exploitation et développement commercial au Parc olympique) qui m’a aidé à convaincre les bonnes personnes pour atteindre notre but. Comme je le dis souvent, Montréal va devenir en quelque sorte la capitale de plongeon de haut vol, parce qu’il n’y a presque pas d’endroits pour s’entraîner en haut vol. »
Par ailleurs, autre projet emballant pour Lysanne en cette année chamboulée : elle peut désormais plonger d’une plateforme d’entrainement de 22 mètres à l’extérieur, à trois heures de route de Montréal, qui a été aménagée sur un site privé. Elle a d’ailleurs fait plusieurs publications à ce sujet sur sa page Facebook. Pour l’instant, question de sécurité, on ne dévoile pas à quel endroit est située cette plateforme. « Je vais probablement aller plonger souvent à cet endroit, mais chaque fois je dois bien sûr être accompagnée d’un entraîneur. Ma saison a été annulée, mais je m’entraîne vraiment beaucoup et c’est l’fun parce que c’est plus varié qu’à l’habitude. Je fais du trampoline, et on a construit, avec mon voisin, une petite plateforme qui me permet de plonger dans ma piscine hors-terre, ça me permet de travailler des saltos, des départs. Et j’ai bien sûr ma coach de préparation qui m’a fait des programmes, et j’en profite pour faire diverses choses comme du vélo, de la randonnée, du jogging. Je bouge énormément. »
Revenons donc à l’entrevue initiale, question de mieux vous faire connaître Lysanne Richard. Son métier est de faire des plongeons de haut vol sur les circuits Red Bull Cliff Diving et celui de la FINA, les plus importants pour le plongeon de haut vol. Le Red Bull Cliff Diving est une compétition de plongeons qui se déroule en plusieurs étapes et dans plusieurs pays depuis 2009. C’est donc d’une hauteur de vingt mètres et plus qu’elle a l’habitude de s’élancer, dans des endroits à couper le souffle, comme en témoignent les photos de ce reportage.
« Pour les femmes, en compétition, ça peut aller à des plongeons jusqu’à 23 mètres, et pour les hommes c’est 27 mètres. Quand j’ai appris à faire du haut vol, c’était 27, 28 mètres, mais je suis contente que ce soit jusqu’à 23 mètres, parce que chaque mètre supplémentaire fait en sorte qu’on arrive dans l’eau plus rapidement, et la force de l’impact est bien sûr plus grande quand on s’élance de plus haut. Et comme j’ai 38 ans (elle aura 39 ans cet été) et que je suis la plus âgée des plongeuses sur le circuit, je veux continuer le plus longtemps possible.
Parallèlement à cette passion, ce métier, tu es mère de trois enfants. C’est difficile de concilier, en temps normal, avant la Covid-19, ton rôle de maman et les entrainements et les déplacement pour aller participer aux compétitions?
En fait, j’ai deux missions! Je dirais que c’est plus un défi pour moi d’être maman que de plonger! Quand je pars en compétition, je me sens parfois en vacances : je pars seule, je ne cuisine pas, je ne fais pas de lavage, pas de ménage, et je suis à l’hôtel et au restaurant. Quand je reviens, je suis ressourcée, j’ai plein d’énergie pour reprendre ma vie de famille. J’ai aussi l’aide de mes parents qui m’aide beaucoup quand mon chum travaille tôt le matin, et c’est important pour nous qu’ils soient présents, qu’ils soient près des enfants.
Quel âge ont tes enfants?
18 ans, 11 ans et 6 ans.
Comment est née cette passion pour le plongeon?
Je suis la troisième de la famille, née au Saguenay Lac Saint-Jean où j’ai grandi. Ma sœur est l’artiste de la famille, elle aimait le théâtre, l’art visuel, alors que mon frère était le casse-cou. Je suis comme un mélange des deux, parce que j’ai quand même un côté artistique dans ma personnalité, dans l’approche de mon sport. Tout le côté créatif de ce sport, les présentations, ça m’interpelle et ça vient chercher mes expériences passées avec Le Cirque du Soleil. J’étais vraiment tomboy, je suis devenue plus femme avec la naissance de ma fille, j’ai plus assumé le côté féminin de ma personnalité à ce moment-là. En cirque, les disciplines qui m’intéressaient étaient la bascule, la planche-sautoir, des numéros que les gars faisaient habituellement.
Tu as fait partie du Cirque?
Mes parents voulaient m’inscrire à des cours de natation quand j’étais enfant, mais comme il n’y avait pas de place, ils m’ont plutôt inscrit au club Les Dauphins d’Alma, qui donnait des cours de plongeon. J’ai adoré ça. Au début, je ne nageais vraiment pas bien, j’ai eu plus de facilité à apprendre à plonger, et retourner sur le bord de la piscine après un plongeon était plus compliqué pour moi. Maintenant, je me débrouille bien dans l’eau et il le faut, parce que parfois, je plonge dans de grosses vagues, ça prend de bonnes capacités en natation parce que parfois, il faut se hâter après un plongeon dans une rivière de nager rapidement sur le côté pour éviter de se faire emporter par le courant.
Tu as eu la piqûre au point de vouloir continuer à plonger?
Oui, et j’ai décidé de quitter la maison au Saguenay pour aller faire mon Sports-études à Québec, en secondaire un, deux, trois, parce que je voulais continuer de m’améliorer en plongeon. Je voulais aussi plonger de la tour, plus que de faire du tremplin.
Rêvais-tu de participer aux Jeux olympiques?
Oui, et quand j’étudiais à Québec, alors que j’avais 14 ans, j’ai été invitée aux essais olympiques grâce à mon entraîneur. Malheureusement, j’ai eu des problèmes avec mes oreilles, j’ai eu des otites à répétition qui ne guérissaient pas, qui se transformaient en vestibulites et mon équilibre en a souffert. Le médecin a fini par me dire que je ne devais plus plonger durant six mois, alors j’ai décidé d’aller faire mon secondaire quatre au Saguenay et retrouver mes amis. Je me suis alors tourné vers le théâtre, j’ai commencé à faire de l’impro et j’étais intéressée par le cirque, ce qui a fait que j’ai mis le plongeon sur la glace temporairement.
Alors qu’elle étudiait à Québec en secondaire un, Lysanne avait vu un spectacle de plongeon au Village vacances Val-Cartier, et elle avait été impressionnée de voir un homme faire un plongeon de haut vol. C’est à ce moment qu’elle a pensé qu’un jour, elle aussi plongerait d’aussi haut. On connait la suite: elle est devenue athlète internationale en plongeon de haut vol.
« L’été de mes 18 ans, je suis allé faire un contrat de spectacle de plongeon en France, et c’est là que j’ai appris à faire du haut vol », raconte-t-elle. Après avoir complété sa formation à l’École nationale de cirque tout en continuant à plonger ici et là, Lysanne a opté pour un emploi stable en travaillant pour Le Cirque du Soleil. Je n’ai jamais plongé alors que j’étais au Cirque, je faisais beaucoup de personnages, le jeu clownesque. Quand elle a appris que Red Bull avait lancé un circuit de compétition de plongeon de haut vol et que cette discipline est devenue un sport officiel de la FINA (Fédération Internationale de natation), elle a décidé de revenir au plongeon.
À quel moment as-tu commencé à faire des compétitions?
L’année où l’on a décidé d’inviter des femmes à participer à ces compétitions, j’étais enceinte de ma fille Flavie. Mais j’ai vu les filles à la télé et j’ai été impressionnée, je me disais qu’elles étaient trop fortes et que je n’étais pas de calibre. J’ai signé un autre contrat avec le Cirque, comme personnage principal, et c’est deux ans plus tard que j’ai commencé à plonger sur le circuit Red Bull Cliff Diving. Je me suis bien préparée, je ne pensais pas être de taille à rivaliser avec elles, mais finalement, ça fait quelques années que je suis parmi les plus dominantes sur le circuit! C’est capoté !
Quelles sont les qualités qu’il faut posséder pour le plongeon de haut vol ?
Je te dirais que ce qui m’aide le plus est d’avoir su bien m’entourer. J’ai une équipe incroyable, des super spécialistes qui travaillent avec moi et qui m’aident à bien performer. Au-delà des aptitudes physiques, il y a la force mentale qui est importante, il faut être capable de bien faire même si on a réellement peur. Il ne faut pas que la peur nous fige, il faut au contraire qu’elle nous motive.
Parce qu’il t’arrive d’avoir peur ?
Oh oui, j’ai tout le temps peur. Quand j’arrive sur le site de la compétition, avant de faire mon échauffement et d’être prête à plonger, je vais sur la plateforme et c’est le moment où je me dis que c’est correct que j’aie peur. Ça ajoute au défi, et parce que j’ai si peur et que je réussis malgré tout, je vis plus à fond le sentiment de réussite, de fierté et de dépassement.
Dirais-tu que ton sport est encore méconnu ?
De moins en moins. Pendant un bon moment, les gens ne savaient pas exactement ce que je faisais, ils pensaient que je faisais du 10 mètres. J’ai commencé à compétitionner en 2015, mais il n’y avait que trois compétitions féminines et à ma grande surprise, j’ai obtenu une 2e place sur le circuit Red Bull Cliff Diving. Par la suite, plus de compétitions se sont ajoutées et en 2016, j’ai été sacrée Championne de la Coupe du monde de la FINA et j’ai été deuxième du classement général sur le circuit Red Bull, après avoir obtenu deux victoires durant la saison. Après 2017, je m’étais bien préparée, mais j’ai eu une hernie cervicale et je n’ai pu faire la saison au complet. J’ai été couchée durant un moi sur le dos, j’ai perdu toute la force de mon triceps et ça m’a pris un an à me relever de ça. J’ai effectué mon retour en 2018 (elle a terminé troisième au classement général, et en 2019, elle s’est classée deuxième au classement mondial).
Quand tu as été blessée, as-tu pensé qu’il était temps d’accrocher ton maillot ?
J’y ai pensé, et les gens autour de moi y ont aussi pensé. Entre autres à cause de mon âge et parce que c’était une blessure d’usure. Et il faut dire que j’avais aussi atteint mes objectifs. Dans mon for intérieur, je me disais que j’avais accompli beaucoup de choses. Mais je n’étais pas en paix avec cette décision, j’étais motivée à revenir et ça a été la bonne décision. J’attaque vraiment différemment le reste de ma carrière afin de continuer le plus longtemps possible.
Parmi les défis auxquels Lysanne doit faire face, il y a bien sûr le fait qu’elle doit laisser sa famille derrière elle pour aller participer aux compétitions. « C’est mon plus gros défi comme maman. C’est une décision qu’on a prise en famille. C’est plus facile, en temps normal, de gérer mes compétitions que ce ne l’était à l’époque où je faisais des spectacles au Cirque du Soleil, parce qu’à ce moment, je faisais dix spectacles par semaine, six jours sur sept, le soir, la fin de semaine… Avec les plongeons (avant la pandémie, bien sûr), c’est une moyenne de huit départs par année, de cinq à sept jours. Je suis la seule maman sur le circuit de compétition, et je trouve ça vraiment l’fun, ça démontre aux filles plus jeunes qu’elles peuvent avoir des projets de fonder une famille tout en continuant de plonger. »
Lysanne est la seule Québécoise sur le circuit et elle compte beaucoup d’admirateurs qui lui écrivent régulièrement. « Même quand j’étais blessée, les gens m’écrivaient et m’encourageaient, dit-elle. C’est fou comme on peut recevoir de l’amour, c’est capoté ! Et je suis chanceuse parce qu’il n’y a pas de controverse dans mon sport. Quand je fais bien, j’ai de bons résultats, alors c’est juste du positif. Je sens que les gens sont attachés à mes résultats et mes performances sportives, mais aussi à mon mode de vie en général. On m’encourage aussi beaucoup au chapitre de la conciliation travail-famille, je peux dire que j’ai vraiment de belles relations avec les gens qui me suivent sur les réseaux sociaux, en particulier sur Instagram, et qui m’envoient de l’énergie. Ils forment vraiment une belle communauté. J’adore aussi aller à leur rencontre quand je fais des conférences, c’est un aspect « spectacle » qui me manquait un peu, de donner et de recevoir, et c’est vraiment chaque fois un échange personnel et émotif avec les spectateurs. »
Est-ce que le sport que tu pratiques a fait de toi une meilleure mère ?
Oui, parce que je vais au bout de mes intuitions et de mes rêves, je suis plus heureuse dans ma vie, alors ça a des répercussions partout autour de moi. Et ça déteint sur mes enfants, ils apprennent beaucoup en me regardant aller.
Chaque fois qu’elle plonge, Lysanne peut atteindre une vitesse qui peut avoisiner les 80 kilomètres/heure, selon un calcul qui a été fait. « J’ai l’impression que certains plongeons vont plus vite que d’autres. Quand on est en position fermée tout au long du plongeon, j’ai l’impression qu’on descend plus vite que lorsqu’on est grand ouvert. Aux Philippines, on plongeait directement du haut d’une falaise qu’il fallait escalader pour arriver au sommet, et c’était d’la job en tabarouette ! C’était même dangereux. Quand on arrive en haut, on est essoufflé et épuisé d’avoir eu peur de tomber en grimpant, et il faut retrouver son calme avant de plonger. Mais c’était magnifique ! »
Tu comptes faire carrière encore longtemps?
Ça dépend comment ça se passe, mais comme il y a un bon impact chaque fois que l’on plonge, il faut que le corps soit prêt à assumer le choc. Je dois donc être plus forte et au cours des derniers mois, j’ai mis l’emphase sur la préparation physique afin que je sois plus solide pour me protéger des blessures. Et de l’usure aussi. J’ai mes figures que je maîtrise très bien et je suis vraiment constante dans la qualité des exécutions, mes entrées à l’eau sont bonnes. Je ne me magane pas, je peux continuer à faire ces figures-là encore longtemps. Bref, j’espère plonger encore durant plusieurs années, j’aimerais égaler le record d’Orlando Duque, une légende du sport qui a pris sa retraite à l’âge de 43 ans. Et il y a les Jeux olympiques aussi, l’objectif est que le plongeon de haut vol fasse partie des épreuves lors des jeux de 2024, c’est ce que l’on dit du côté de la FINA. Si ça se concrétise, en 2024, je vais être assez vieille, mais dans mes rêves les plus fous, j’aimerais prendre ma retraite sur un podium olympique. »
Lysanne Richard est très impliquée dans la communauté, elle est notamment ambassadrice du mouvement Bâtissons l’espoir de la Fondation Douglas ( https://fondationdouglas.qc.ca/batissonslespoir/) et s’est impliquée avec le Relais Mère/Filleactive (les 15 et 16 août, https://relais.fillactive.ca/) elle est aussi la marraine du premier Marathon virtuel pour la Fondation de l’hôpital Saint-Eustache, qui a lieu du 22 juin au 2 août (http://www.fondationhopitalsainteustache.com/marathon-virtuel-fhse-2020/).
Pour plus de renseignements, suivez Lysanne Richard sur Instagram, sur son site ( https://www.lysannerichard.com/) ainsi que sur Facebook.