19300017124.8dd5717.21bf68dc932f4c2f95a1be411c9aab2d

Marie-Pier Savaria – Justin, 8 ans, ne sera jamais oublié…

Il y aura trois ans en juin que Justin Lefebvre, 8 ans, a perdu la vie, lors d’une fête entre amis. « En l’espace d’à peine vingt-quatre heures, notre vie a complètement basculé », confie Marie-Pier Savaria, la mère du petit garçon. En cette période trouble où le Québec, comme le monde entier, est frappé par une vague de décès, il est bon de prendre le temps de réaliser à quel point il est peut être difficile de surmonter la disparition d’un proche, d’un parent, d’un enfant. Et souligner la force et le courage de ceux qui y parviennent, tout en décidant de transformer ce coup cruel du destin en actions positives pour tout simplement répandre le bonheur, au nom de leur fils disparu.

Texte et photos: Daniel Daignault

Justin, le jour de son huitième anniversaire de naissance.

« C’est arrivé le 17 juin, il venait d’avoir 8 ans le 5 juin et c’était au tour de son ami Elliot de célébrer son anniversaire. C’était un super week-end, il faisait beau, et la fête avait lieu le samedi, la veille de la fête des pères, raconte Marie-Pier. Justin était attendu chez les parents d’Elliot, un couple que nous connaissions bien, vers 11h30, midi. Le dernier souvenir que j’ai de mon petit rouquin à la peau blanche est de lui avoir mis de la crème solaire. L’odeur de la crème que je lui appliquais, ma peau sur la sienne, ce sont des souvenirs qui demeurent imprégnés en moi. Justin était tellement excité d’aller à cette fête qu’il m’a fait un gros câlin avant de partir avec son père, et je lui ai dit : « Amuse-toi bien! »

Marie-Pier, Benoit et leurs trois fils.

Il y a beaucoup d’émotion dans la voix de cette femme au regard intense, beaucoup de résilience aussi chez cette mère de deux autres garçons, Émile, 8 ans et demi, et Victor, 5 ans. La fête s’annonce vraiment bien, les enfants sont pour la plupart tous en maillot de bain et par cette chaude journée de juin, la piscine est invitante. On s’amuse et on joue entre autres à qui retiendra son souffle le plus longtemps sous l’eau.

« Après être allé reconduire son fils à la fête, Benoit est allé faire des courses avant de revenir à la maison. Le hasard a voulu qu’il croise l’ambulance qui filait à vive allure, et il a reçu presque au même moment l’appel de Yannick, le papa d’Elliot, pour l’aviser qu’il y avait eu un accident. Marie-Pier fait une pause, émue, avant de poursuivre son récit. « Justin a retenu son souffle et n’est jamais remonté à la surface, il a perdu conscience sous l’eau. Les premiers soins lui ont été prodigués et il a rapidement été transporté à l’hôpital. On lui ait fait passer des scans et on nous  a appris qu’il avait eu une hémorragie au cerveau. Il est décédé le lendemain, le 18 juin, à 13h13. »

Marie-Pier Savaria. Photo: Daniel Daignault

On ne peut jamais être préparé à vivre un tel événement, aviez-vous l’impression que tout cela n’était qu’un cauchemar?

Oui, et même encore parfois. C’est particulier parce lorsqu’il est décédé, il terminait sa deuxième année, et jusqu’à tout récemment, avant l’arrêt des classes en raison de la COVID-19, mon Émile était en deuxième année et fréquentait la même école. Et il avait les deux mêmes professeurs qui avaient enseigné à Justin…

Il était important pour vous de faire don des organes de Justin?

C’est vraiment spécial parce qu’en mai 2017, Justin avait reçu son renouvellement de carte d’assurance-maladie, et il était indiqué que pour les 12 ans et moins, les enfants pouvaient signer leur carte pour faire un don d’organes, avec bien sûr les initiales d’un tuteur, d’un parent. Nous nous étions assis lui et moi, je lui avais montré sa nouvelle carte et qu’il y avait un autocollant à l’arrière qu’il fallait signer. On en a profité pour en jaser, dans des mots d’enfants, bien sûr, pour ne pas lui faire peur. Et en même temps, tu jases de ça en te disant que jamais tu n’auras besoin de cela. Lui qui était si en forme et si sportif, je lui ai demandé s’il serait d’accord, quand il allait décéder, ce qui allait arriver super tard, s’il serait prêt à sauver une personne si les médecins voyaient que son coeur était en pleine forme. Et d’emblée, il m’avait dit : « Bien oui, maman! Je suis tellement grand, tellement en forme…». Il avait donc fièrement signé sa carte. C’est quelques mois plus tard, en revivant toutes les petites choses en lien avec Justin, que j’y ai repensé, et je me disais que c’était destiné à s’en aller vers ça… »  

Justin adorait jouer au hockey, l’un des nombreux sports qu’il pratiquait.

À la toute fin, lorsqu’il a été clair qu’il n’y avait plus d’espoir que Justin survive, Marie-Pier et Benoit ont donc été confrontés à la décision concernant le don d’organes. « Ça a été fait dans le plus grand respect. C’était le dimanche après-midi, après que les derniers tests eurent été effectués et que la pédiatre nous ait dit très calmement qu’il n’y avait plus de réponse, et qu’ils allaient noter la date et l’heure du décès. À ce moment-là, dans ma tête, c’était fini: je lui donnais un bisou et on s’en allait chez nous. Elle nous a alors dit qu’il y avait deux choix qui s’offraient à nous. Ou bien ils débranchaient Justin, ou bien, puisqu’il était un bon candidat pour devenir donneur d’organes et qu’il avait signé sa carte, qu’ils allaient poursuivre les démarches. Je me rappelle que Benoit et moi, nous ne nous sommes même pas regardés, on a dit « oui » tout de suite. C’était une façon pour nous que notre Justin continue à vivre de cette façon. Il y a son petit cœur, son foie et ses deux reins qui sont encore bien vivants chez des enfants qui étaient un peu plus jeunes que lui. Une fois par année, on a des nouvelles de Transplant Québec à l’effet que tous ces enfants-là vont toujours bien, mais sans plus. »

Comment ton mari et toi avez réussi à surmonter cette terrible épreuve qu’est de perdre un enfant?

C’est certain que nos deux autres enfants nous ramènent, ils font en sorte qu’on se doit de continuer. On est revenus à la maison le dimanche soir, complètement brûlés, après toutes ces démarches-là, et Émile nous a accueillis avec son ballon de soccer parce qu’il avait le goût de jouer. Alors c’est sûr que la vie continue, et en même temps, j’avais toujours en tête que Justin n’avait jamais une minute à perdre dans la vie, qu’il était toujours très actif. Et qu’il me dirait tout le temps: « Allez maman, on y va, on continue! ». Encore aujourd’hui, je me fais souvent dire : « Mon Dieu, t’es forte, comment vous faites ? »… On ne le choisit pas, et il n’y a pas de mode d’emploi, il n’y a personne qui est préparé à vivre ça. Benoit et moi, ça fait vingt ans que nous sommes amoureux, on forme un super bon team et on est dorénavant à l’épreuve de tout. C’est sûr qu’on a vécu ça différemment, mais avec tellement de respect mutuel. Pour Benoit, ça a été beaucoup dans l’action. Il a pris quelques semaines de repos avant de retourner au travail. Il a été un bon pilier pour moi, car je voyais qu’il avait un bel équilibre à travers tout ça. Et le respect a été important : il y avait des choses qu’il revivait, qui l’émouvait, alors que pour moi, ça pouvait être autre chose qui faisait monter les émotions chez moi. On forme vraiment un bon team et on a aussi été bien entourés. C’est sûr qu’un décès, ça change tout, entre autres pour l’entourage. On réalise que certaines personnes ne sont pas à l’aise d’aborder le sujet, qu’ils parlent de la pluie et du beau temps, et c’est bien correct. Les amis proches changent, on réalise avec qui on est plus à l’aise d’aller en profondeur, et c’est tout à fait normal. Finalement, je me suis rendue compte que la vie suit son cours pour tout le monde, et les gens n’oublient pas non plus, parce que c’est un deuil pour tout le monde, autant les proches, les intervenants et les professeurs à l’école, les amis de Justin… »

Marie-Pier et Benoit, qui sont mariés depuis quatorze ans, en compagnie de leurs trois enfants.

D’ailleurs, il y a lieu de souligner que les parents d’Elliot, Yannick Poulin et Laurence Guay, étaient déjà de bons amis de Marie-Pier et de Benoit, et le triste événement a soudé encore plus leur amitié.

Est-ce que vous ressentez une urgence de vivre à fond, de profiter de chaque moment depuis l’accident?

Benoit et moi on a une sensibilité de la vie qui n’est plus la même. C’est sûr qu’il n’est pas nécessaire de vivre un tel événement pour changer sa vision de la vie, mais je dirais qu’on ne s’attarde pas aux petits problèmes qui peuvent survenir au jour le jour. Ça nous permet d’apprécier toutes les belles réussites au quotidien, on savoure tout ce qui passe et ce que l’on vit avec notre famille. Au fond, on a constaté que ce n’est pas vrai que ce genre d’événement n’arrive que chez les voisins, et on n’est jamais vraiment préparé à y faire face. »

C’était un accident, un simple jeu, celui de retenir sa respiration le plus longtemps sous l’eau, qui a tourné en tragédie. « Il y a toujours un fond de culpabilité, à se demander si j’ai été une mauvaise mère, comment ça se fait qu’on l’avait déjà laissé jouer à ça à la maison. Maintenant je suis outillée, je sais que ça ne sert à rien de ressasser tout ça, de se dire que s’il avait été grippé, il ne serait pas aller à la fête… Il ne faut pas que j’embarque là-dedans et maintenant, je dirais que c’est plus doux. Jamais, à l’intérieur de moi, je n’ai eu un doute qu’il y avait eu négligence et je sais qu’il a eu les meilleurs premiers soins, que tout a été fait pour qu’il survive. Je me dis qu’il est disparu en s’amusant.. »

« Avec des si, on refait le monde », dit-on. Et malheureusement, on ne peut réécrire l’histoire et modifier le passé. Une chose est claire: la vie continue et les souvenirs demeurent bien présents. « Il est décédé beaucoup trop tôt, il n’avait que huit ans, mais j’ai été choyée par la vie parce que j’ai pu bénéficier d’un long congé de maternité, et je me permets de dire que je n’ai tellement rien manqué avec lui ! Toutes les journées de congé, les pédagogiques, les étés, j’ai été là pour tout. C’est sûr qu’il y a plein de trucs que nous n’avons pu faire, des événements que nous n’avons pu vivre, mais je n’ai pas l’impression d’avoir manqué des choses. Je n’ai pas en tête le « j’aurais donc du… », je suis très fière de moi, je me dis : « Mon Dieu, on s’est connus et vus seulement durant huit ans, mais je pense que j’ai été une bonne mère. »

Éducatrice préscolaire spécialisée pour les 4-5 ans, Marie-Pier n’est pas retournée travailler après le décès de son fils. « J’ai comme développé une anxiété de surprotection à l’endroit de mes deux fils. Ça va bien maintenant, je me dédie à eux, et je n’ai pas le goût de lutter avec cette anxiété de partir travailler et de me demander sans cesse si tout se passe bien et d’être inquiète qu’il leur arrive quelque chose. C’est sûr que je suis surprotectrice avec mes deux fils, et quand la rentrée des classes est arrivée en septembre 2017, que ça a été le temps de les envoyer à l’école, j’ai réalisé que j’avais un problème et j’ai décidé d’aller consulter un professionnel pour que je sois mieux outillée. S’il y avait un des deux garçons qui toussait la nuit, j’avais tendance à m’inventer un scénario, j’étais incapable de me rendormir… Et je ne voulais pas non plus transmettre cette peur-là à Émile, qu’il se mette à avoir peur de tout. C’était un combat quotidien pour moi, ça a peut-être pris environ un an, un an et demi, pour que j’arrive à surmonter ça. J’avoue que je suis définitivement une mère plus protectrice qu’avant, et ça me demande un effort quand vient le temps de les envoyer jouer chez un ami, par exemple. »

Marie-Pier est donc à la maison et travaille de façon active, au moins trois jours semaine, pour la fondation (la Fondation Justin Lefebvre) qui a été mise sur pied peu après le décès de Justin. « On a choisi ce chemin-là, on a rebondi, on appelle peut-être ça de la résilience, dit-elle. L’idée de la fondation est venue de l’ami de Justin, Elliot, chez qui l’incident est arrivé. Ses parents sont médecins et sont très impliqués dans la Fondation du Centre hospitalier de l’Hôpital de Sherbrooke (CHUS), et il a toujours vu ses parents être très actifs à ce chapitre-là. Quelques jours après le décès de Justin, il avait dit à son papa que ça n’avait pas de bon sens que Justin ne soit plus là, et qu’il fallait trouver une solution pour qu’il reste « comme en vie » . Et il a lancé l’idée de partir une fondation qui porterait son nom. »

C’est vraiment à partir de là que l’idée a germé et que la Fondation Justin Lefebvre a pu voir le jour, mais avant toute chose, il fallait définir l’objectif de cette fondation. « Étant donné que son histoire a été médiatisée, on a reçu beaucoup d’appels et on s’est fait questionner au sujet du don d’organes, étant donné qu’il a été un donneur pédiatrique. Il faut savoir qu’en 2017, il n’y a eu que six donneurs pédiatriques, et Justin faisait partie de ces six personnes. C’est sûr que nous étions donc très concernés par l’importance du don d’organes, à cette mission-là. Et la deuxième grande mission est de permettre l’accès à des enfants de familles à faible revenu, à des activités sportives et à l’éducation. Justin était un grand sportif et il était choyé, on pouvait l’envoyer participer à des activités parascolaires, il pratiquait plusieurs sports et nous avions la chance qu’il puisse étudier à une école privée et trilingue où il a acquis de belles connaissances. Justin n’est plus là, mais avec la fondation, on peut permettre à d’autres enfants d’avoir cet accès-là. »

Justin, en compagnie de ses deux frères, Victor et Émile.

Marie-Pier est directrice générale de la Fondation Justin Lefebvre, son conjoint Benoit est administrateur, tout comme le père d’Elliot, le Dr Yannick Poulin, alors que son épouse, Dre Laurence Guay, agit à titre de trésorière. La fondation a rapidement fait des heureux, et les choses ont déboulé. « Au départ, et en toute honnêteté, je me disais qu’avant tout, mon Justin était encore vivant à grâce à la fondation. Et peu importe où ça allait nous mener, nous faisions ça sans prétention, mais on dirait que la vie, ou Justin, s’est chargé de nous envoyer les bonnes personnes au bon moment. Des amis, des experts au niveau médical, un planificateur financier, se sont greffés à nous et on a vraiment une belle équipe avec plein d’idées. Rapidement, la fondation a pu se faire connaître en Estrie depuis novembre 2017, et on a rapidement senti que les gens étaient interpellés et très touchés. On est très impliqués dans la communauté, on explique concrètement aux gens qui nous appuient où vont leurs sous, et plusieurs partenariats ont vu le jour », ajoute-t-elle.

Marie-Pier a réalisé ce montage de quelques photos d’elle et de Justin.

Par exemple, grâce à un donateur anonyme, chaque but marqué par le Phoenix de Sherbrooke de la Ligue de hockey junior majeur du Québec durant la saison régulière 2019-2020 rapportait 150$ à la Fondation Justin Lefebvre, un montant qui permettra de réaménager un terrain de soccer pour les familles de l’organisme SAFRIE (Soutien aux familles réfugiés et immigrantes de l’Estrie). « Plus on a d’aide, plus on a du pouvoir et on se dit qu’un jour, si on peut faire des dons à l’extérieur de la région, si on peut donner plus annuellement, ce sera tant mieux. C’est ce que l’on souhaite. On se rencontre une fois par mois, les sept membres du CA, pour discuter des projets. »

Marie-Pier, Benoit, Émile et Victor.

L’histoire de Marie-Pier et de Benoit, le douloureux départ de leur fils et leur volonté de faire en sorte que cet enfant dynamique ne soit jamais oublié grâce à la fondation qui porte son nom, est pour le moins touchante et inspirante. « Ce n’est pas un passage obligé, mais c’est sûr que la fondation a été un beau baume pour nous, ça a contribué beaucoup à la guérison, même s’il y a encore des journées grises. Ça donne un sens à ce qui n’a pas de sens, et Justin est encore vivant à travers ça. »

Pour plus d’informations sur la Fondation Justin Lefebvre, consultez le site: https://fondationjustinlefebvre.com