Une vie qui bascule brutalement. Le 27 juin 2015, la journaliste Isabelle Richer est heurtée par un véhicule alors qu’elle roule à vélo sur une route à Rougemont. Et elle est très mal en point. Quatre ans plus tard, Isabelle n’a aucun souvenir de l’accident, mais elle sait toutefois qu’elle a eu une chance inouïe, car elle aurait pu y laisser sa peau. Elle dira plus tard que le casque qu’elle portait lui a assurément sauvé la vie.
Par Daniel Daignault
« Elle a subi un traumatisme crânien et des fractures cervicales, mais le pronostic des médecins est très encourageant dans les circonstances. Elle ne devrait pas subir de séquelles permanentes, bien que des mois de convalescence et de réhabilitation seront nécessaires avant qu’elle ne revienne au travail», lit-on alors dans le communiqué de presse émis par Radio-Canada.
« Comme le dit ma sœur (la Dre Geneviève Richer), la première séquelle des fractures des vertèbres cervicales C1 et C2 est la mort. La deuxième séquelle possible est la tétraplégie. Tu me vois, Daniel, couchée sur une planche à roulettes, les quatre membres paralysés? Non! La troisième séquelle la plus fréquente est l’hémiplégie, donc la paralysie. Si ça avait été le cas, je serais en fauteuil roulant », me raconte Isabelle.
C’est dans un café à Montréal que nos retrouvailles ont eu lieu. Nous nous sommes connus elle et moi en 1986, alors que nous prenions part à la naissance du réseau de télévision de TQS. Isabelle était journaliste aux nouvelles, alors que j’étais journaliste et chroniqueur culturel pour Le Grand Journal et l’émission Premières, animée par Claire Caron. Nous nous sommes côtoyés, puis perdus de vue, et nous avons suivi l’un et l’autre nos carrières à distance au fil des ans. Assis face à elle, je l’écoute raconter ce qu’elle a vécu, où elle en est et comment elle se sent, plus de quatre ans plus tard, et j’en ai des frissons.
« Les vertèbres C1 et C2 ont été fracturées, mais elles n’ont pas sectionné la moelle épinière, ce qui fait que je peux encore marcher. Tout le temps où j’ai été en réadaptation et quand j’étais encore hospitalisée, j’avais des suivis avec des médecins et quand j’entrais dans leur bureau, ils lisaient dans le dossier que j’avais eu des fractures C1 et C2, et me regardaient vraiment de bas en haut. « Ben oui, je marche! » J’avais quasiment le goût de m’excuser!
Je sais à quel point j’ai été bénie et ce que je sais encore plus profondément, est que j’ai maintenant une urgence de vivre. On dit ces choses-là quand ça va, qu’on n’a rien, pas de maladie, et sans avoir eu un accident. On se dit qu’il faut vivre, qu’il faut en profiter parce que le temps passe vite et que l’on meurt inévitablement, mais on ne le sait pas vraiment. On le dit parce qu’on le sait rationnellement, mais on ne le sait pas dans nos fibres. Quand tu passes par là, t’es frappé par la fragilité, par ces concepts-là, mais surtout, tu es extrêmement conscient de l’instantanéité du moment où tu peux mourir. C’est instantané : paf! T’as pas le temps de dire adieu, t’as pas le temps de rien. Et après être passé par là, tu perds une sorte de légèreté. On est léger dans la vie parce qu’on est heureux de vivre, on est content et on en profite. Il y a une forme d’insouciance, pas dangereuse, pas téméraire, mais on est un peu léger. Mais quand t’es mort une première fois, tu perds cette légèreté-là parce que tu sais que ça se peut…
Pour toi, il y a donc l’avant et l’après?
C’est tellement évident! Oui, moi je suis morte le 27 juin 2015.
Depuis l’accident, et pour la suite des choses, mets-tu de l’avant autour de toi l’idée qu’il faut profiter pleinement de la vie, vivre à fond parce qu’on ne sait jamais ce qu’il peut nous arriver?
Non. Comme le disait si bien Jacques Prévert : « Quand quelqu’un dit: Je me tue à vous le dire! laissez-le mourir. » Je ne m’évertue pas à faire ça, mais je le rappelle aux gens, parce que dans cinq minutes, ton bébé ou ton enfant qui a un an ou deux va en avoir cinq! Et dans cinq autres minutes, il va avoir quinze ans! Prends l’exemple de toi et moi! Ça faisait peut-être vingt-cinq ans qu’on ne s’était pas vus. On a des nouvelles l’un de l’autre, on sait qu’on existe, on se voit sur Facebook, mais TQS, c’est hier! Tout passe à une vitesse folle et le temps s’accélère. Il ne faut pas se répéter des : « Ah, j’aurais donc dû lui dire! », ou tarder à dire à telle personne que tu l’aimes et que tu as envie de la voir. Il y a une urgence de vivre, la vie n’est pas longue et l’on meurt, il ne faut pas perdre de temps!
La vie d’Isabelle a été bouleversée par cet accident et bien sûr que le sujet revient fréquemment dans ses discussions avec ses proches et les gens qui l’abordent. Normal. On se réjouit de voir à quel point elle a pu recouvrer la santé et qu’elle n’ait pas tardé à remonter sur son vélo. Imaginez : depuis le printemps 2019, elle a fait plus de 3100 km de vélo, sans oublier 500 km de jogging! Son plus bel exploit était d’avoir réussi à faire un 5 km de jogging sous les vingt-cinq minutes. Plus exactement 24 minutes et 53 secondes lors du Marathon de Montréal en 2018. J’écris « était », parce que cette femme déterminée a remis ça en octobre 2019 et s’est encore une fois surpassée : elle a battu son record personnel en réalisant un temps de 24 minutes et 38 secondes, toujours lors d’un 5 km de jogging. Elle a terminé l’épreuve en cinquième position dans la catégorie des 50-59 ans, et sans surprise, elle ne vise rien de moins que de se retrouver sur le podium l’an prochain.
Il y a Isabelle, la femme qui repousse ses limites, qui est entêtée et déterminée… à l’image de la journaliste et l’animatrice qu’elle est! On a malheureusement tendance à oublier à quel point elle est une journaliste aguerrie. « C’est sûr que c’est bien plus spectaculaire d’être victime d’un accident et d’avoir été espionnée par la police que d’être une journaliste. Être journaliste, ce n’est pas d’être une vedette, je ne suis pas Véronique Cloutier! Les gens me connaissent parce que ça fait plus de trente ans que je fais ce métier-là. Puisqu’ils aiment les histoires judiciaires et que j’ai été vingt-cinq ans au Palais de justice, on m’associe beaucoup à cela. Mais c’est sûr que les journalistes dits « ordinaires », nous ne sommes pas des vedettes », ajoute-t-elle.
Isabelle a coanimé durant trois ans l’émission Enquête aux côtés de sa meilleure amie, Marie-Maude Denis, un poste qu’elle a quitté en septembre 2018 pour se consacrer pleinement à sa quotidienne sur les ondes d’ICI RDI. Elle est également employée à titre d’analyste judiciaire lors des bulletins d’informations.
Portes-tu un regard différent sur ton métier depuis ton accident?
Oui, sur tout, et sur mon métier aussi, parce qu’il a beaucoup changé. Et pas seulement le métier, mais ce que j’en fais depuis 2015. Après la Commission Charbonneau, j’ai tranquillement changé de rôle, parce que je suis allée à Enquête. Je ne faisais plus de terrain au quotidien, j’animais et je travaillais sur des super mégadossiers, et j’avais accepté le mandat pour aller faire Enquête avec Marie-Maude parce qu’on avait acquiescé à ma demande de me laisser mon émission quotidienne. Depuis le temps que je pratique ce métier, mon oxygène, c’est le direct. J’avais dit aux patrons qui m’avaient approchée pour Enquête que je ne pouvais cesser d’être en ondes sur une base quotidienne parce que j’allais faner! D’ailleurs, au début, j’avais refusé, puis ils avaient accepté que je conserve mon émission à RDI. J’étais un peu déchirée, alors que je me retrouvais un pied dans mon émission quotidienne et un pied dans l’autre. J’ai fait cela durant trois ans, c’était très nourrissant et très vivifiant, et c’était utile à la reconstruction de ma confiance.
Tu avais des doutes de pouvoir exercer ton métier comme autrefois?
Oui, parce que lorsque tu reviens d’un accident comme celui-là, tu n’es pas certaine que tu vas redevenir celle que tu étais. Et les médecins ne peuvent pas signer un contrat avec leur sang pour t’assurer que tu vas redevenir comme tu étais auparavant.
C’était l’inévitable remise en question?
J’étais certaine que j’allais demeurer un petit peu lente, même si tout le monde dans mon entourage me disait, dix ou douze mois après l’accident, que j’étais parfaitement correcte et comme avant. La réalité était que moi, je le savais que je n’étais pas comme avant, pas parfaitement remise. Tu as toujours un petit délai, mais c’est microscopique, il n’y a que toi qui en a conscience, mais tu le sais! C’est très angoissant.
C’est angoissant de vivre avec ce sentiment?
J’ai tellement eu peur après l’accident! C’est ce qui me reste de cet accident : la terreur de rester diminuée et handicapée physiquement. Je pense à cet événement du 27 juin 2015 tous les jours, et plusieurs fois par jour, même si je ne me souviens pas de l’accident en tant que tel. J’ai une collègue qui m’a dit un jour qu’elle connaissait un formidable spécialiste de l’hypnose… Si tu penses que je vais aller en hypnose pour m’en souvenir, oublie ça! C’est une bénédiction que je ne m’en rappelle pas.
Alors que tu étais en réhabilitation, tu n’as pas tardé à vouloir te remettre au vélo?
J’avais hâte, mais je ne savais pas comment j’allais me comporter. Je l’ai fait, dix mois après, et honnêtement, il n’est pas possible que j’aie plus peur qu’avant l’accident lorsque je suis sur mon vélo. Je suis aussi craintive, mais pas davantage, et je suis aussi prudente, comme je l’étais auparavant. J’ai retrouvé le bonheur d’être à vélo, et ça, c’est important. Si j’avais perdu ce plaisir, ça aurait été un deuil à faire. Je suis moins performante parce que d’une part, je vieillis, et ensuite, je n’ai pas réussi à revenir où j’en étais en termes de masse musculaire et d’entraînement. Et comme les années passent, je continue d’être en dessous de la forme que j’avais auparavant.
Mais le plaisir de rouler est toujours là?
Oui, je fais encore des voyages, je vais dans des endroits tough, et je fais de la semi-performance. Je me suis mise un peu à l’épreuve il y a deux ans, quand je suis retournée en Arizona pour me prouver que j’étais capable de monter le Mont Lemmon. Je l’ai monté moins vite, c’est quarante-deux kilomètres, mais je l’ai monté. Après coup, je me suis donné la petite tape dans le dos en me disant : « C’est beau ma vieille! » Maintenant, ce n’est plus grave, je n’ai pas le besoin de prouver quoi que ce soit. Et même si je vais sur plusieurs sites comme Strava et des applications pour mesurer mes performances, ce n’est un drame si je ne bats pas mon temps de la semaine précédente. L’important est que je puisse le faire.
Isabelle doit encore faire de la physiothérapie, de l’ostéopathie et de la massothérapie, et même si les séances sont plus espacées, elle constate que les progrès, aussi minimes soient-ils, se font sentir. « Je gagne encore des millimètres, et je suis tellement obstinée que je vais tous les gagner. Je n’ai plus de douleur permanente, mais j’ai des douleurs quand je fais des efforts, par exemple lorsque j’essaie de tourner la tête assez loin. Ça tire, il y a une douleur, mais pas au point que je m’évanouisse. Je peux regagner encore des semi-millimètres parce qu’il y a encore beaucoup de tension.
Parlons de ton métier de journaliste, quel regard jettes-tu sur la jeune journaliste que j’ai connue à l’époque et celle que tu es aujourd’hui?
Je suis très contente de la carrière que j’ai faite, que je fais, et qui était un peu improvisée. La communication était mon talent, je le savais, mais j’ignorais que ça se traduirait par le métier de journaliste. Quand j’ai plongé là-dedans, je ne m’attendais pas à ça, parce que tu ne sais pas dans quoi tu t’embarques vraiment. Le journalisme judiciaire existait, j’ai des maîtres comme Rodolphe Morissette, Yves Boisvert, et je l’ai développé, je l’ai incrusté dans certaines stations, notamment à TQS, et je l’ai porté pendant vingt ans à Radio-Canada. J’étais heureuse d’avoir réussi à faire en sorte que ce beat qui est mal-aimé, méprisé, soit devenu autre chose et qu’on ne parle pas que de pédophiles et d’assassins. On parle de questions fondamentales, tout passe par le Palais de justice. Pense à une sphère d’activité dans le monde, tout passe par là! Je suis contente d’avoir mis mon talent de communicatrice à profit.
Tu as donc choisi volontairement de couvrir les affaires judiciaires?
Oui. Tu te souviens comment c’était à l’époque de TQS? On faisait de tout, comme dans n’importe quelle salle de rédaction. Un matin tu couvres la grève des autobus et le lendemain, tu as à faire un reportage, par exemple, au sujet d’une campagne sur l’herbe à poux. Un jour, parmi les nombreuses choses que nous étions appelés à couvrir, j’ai eu à me rendre au Palais de justice et j’ai aimé ça. À mon retour à la station, je suis allée voir mon patron et je lui ai dit que si ça lui disait d’avoir quelqu’un en permanence au Palais, j’aimerais beaucoup être cette personne. Deux semaines après, on a décidé d’ouvrir un poste de journaliste au Palais de justice et il m’a dit que si je le désirais, le poste était à moi. J’ai sauté sur l’occasion et j’ai adoré ça, au point d’effectuer ce travail durant des années.
Parlons donc de justice! Le grand public est souvent déçu par ces causes qui prennent trop de temps avant d’être entendues ou lorsqu’ils estiment que des jugements ne sont pas assez sévères. Sans oublier l’arrêt Jordan qui fait en sorte que plusieurs individus s’en tirent à bon compte. Je pourrais poursuivre longtemps… Que penses-tu de tout cela?
Effectivement, c’est perfectible, le système de justice n’est pas encore parfait, et il ne sera jamais parfait. La chose intéressante au fait de travailler dans ce milieu-là est de comprendre les mécanismes. Oui, c’est long, mais il y a aussi la compréhension des droits. Des accusés ont le droit de faire appel, et on ne va pas abolir la Cour d’appel ni la Cour suprême du Canada parce que ça prend des années. On ne peut pas non plus commencer à faire des procès à la Cour suprême parce que ça irait tellement plus vite! C’est pour ça que les gens sont parfois injustes dans leur façon de critiquer. C’est lent, la justice. Il y a deux phrases classiques que l’on entend au Palais de justice. D’abord : « Justice a été faite, justice a été rendue », ça c’est quand les parents d’une victime sortent de la cour à la suite d’une condamnation. Ou bien : « Il n’y a pas de justice! » Et les deux sont vrais parce qu’il y a toujours deux partis en opposition, c’est ça le domaine judiciaire.
Douée pour la communication comme tu l’es, tu aurais été une bonne avocate?
Ah oui! J’aurais pu, et je l’ai souhaité à un moment donné. J’ai commencé mon droit quand j’étais à TQS, et j’avais du mal à faire les deux, soit étudier à temps partiel et travailler à temps plein. Je fréquentais alors un procureur de la Couronne à ce moment. Il m’avait dit : « Si tu veux étudier à temps plein, go, fais-le, on va s’arranger ». J’y ai pensé, je l’ai soupesé parce qu’effectivement, je pense que j’aurais fait une bonne avocate. Je maitrise l’argumentaire et je suis capable de m’exprimer. D’ailleurs, tu remarqueras combien il y a de vases communicants entre les métiers d’avocat et celui de journaliste ou de communicateur. Souvent, l’un devient l’autre, ou l’autre devient l’un; combien y a-t-il d’avocats qui sont journalistes et vice-versa? Si j’osais, je dirais que tout le monde devrait faire son droit, parce que c’est fondamental à la compréhension de la vie en société. Les gens seraient moins intempestifs, moins tranchants et intransigeants, parce qu’ils comprendraient qu’on se conforme à un certain nombre de règles et de lois. Ce n’est pas de la décoration et ce n’est pas de la fiction : il faut qu’on soit un peu organisé en termes de société.
Au moment où tu te remettais de ton accident, on a assisté à la naissance du mouvement #MeToo (#MoiAussi). Toi qui as couvert plusieurs causes d’agressions, qu’en as-tu pensé?
C’est très bouleversant #MeToo, parce que c’est une conjonction de deux choses : cette libération de la parole chez les femmes et les hommes, et cette absence de foi en la justice. Et ça, c’est très troublant. Pas parce que les gens ne croient plus en la justice, ça va et ça vient comme façon de voir les choses, mais parce que maintenant, on prend des moyens absolument infâmes pour épingler des gens. Quand on se met à envoyer des lettres anonymes pour dire qu’untel m’a fait ci et m’a fait ça, ça dénote probablement qu’on n’a plus confiance en la justice. Le système judiciaire doit se poser des questions, mais ce n’est pas la façon de fonctionner, il ne faut pas prendre une tangente dangereuse et sale. Tu ne peux pas faire de la diffamation. Si quelqu’un t’a fait quelque chose, dénonce-le plutôt que de le crucifier sur les réseaux sociaux et de rendre publics son nom et sa face. Il n’y a rien de pire que cela. Tu n’as qu’une réputation, et elle peut être démolie rapidement. Je veux bien qu’on dénonce, mais il faut le faire de la bonne façon.
Est-ce que les réseaux sociaux ont changé ta façon de travailler?
Outre que ça m’a apporté plus de travail parce qu’il faut être présent sur les différentes plateformes, ça n’a pas bouleversé ma vie professionnelle. Je dirais que ça l’a compliquée et fait en sorte que ma charge de travail a augmenté. Cela dit, on m’a fait quelques commentaires très méchants après mon accident sur les réseaux sociaux. Ce n’était pas sur mon physique, on ne m’a pas attaquée sur ce plan-là, mais plutôt sur le fait qu’on parlait de moi. « Maudite vedette, comment ça se fait que tout le monde parle de ton accident? T’es pas la seule à avoir un accident… », ou encore, quand je parle de quelque chose, il y a des gens qui m’écrivent et me disent que ça parait que je suis tombée sur la tête, des commentaires du genre. Ce sont des crétins qui ne me parleraient même pas s’ils me rencontraient.
Tu es à Radio-Canada depuis vingt et un ans, commences-tu tranquillement à penser à la retraite?
Je n’envisage pas de retraite encore avec des dates, je ne fais pas de calcul. Je suis surtout inquiète de l’avenir du métier. Pas tellement de mon avenir, mais celui de la profession, l’avenir de RDI qui est menacé. Et j’ignore combien de temps Radio-Canada va survivre. L’avenir de la profession n’est pas glorieux, c’est assez terrifiant quand on pense que les sources d’informations seront désormais uniques. On est dans une ère d’opinion depuis des années, et les gens croient à des choses, alors on est dans la foi, la croyance et l’opinion. Peut-être qu’il y aura un vague retour à la vérification des faits, parce qu’il y a une génération de gens intelligents qui sont dans le fact checking, qui ne veulent pas se faire raconter n’importe quoi, mais je ne sais pas si c’est une majorité et je suis un peu inquiète. L’absence de moyens, de façons de vérifier les faits, est un peu terrifiante. Il y a peut-être des domaines où c’est moins grave sur le plan de l’impact et des conséquences, mais ça peut avoir des conséquences énormes ailleurs. Et ces gens-là qui lancent des nouvelles, qui n’appartiennent pas à un réseau ou à une entreprise sérieuse, quelles sont leurs balises? Et s’ils font de la diffamation à l’endroit de quelqu’un, le quelqu’un en question va-t-il les poursuivre? Qu’est-ce que ça va donner, et où va-t-on aller avec ça? C’est inquiétant et il faut se pencher là-dessus.
Tu as toujours autant de plaisir à exercer ton métier?
Oui, c’est tellement un privilège d’être en ondes, tu le sais, que je me réjouis et je me régale chaque jour d’avoir cette chance-là. Je la saisis, et je fais ce que j’aime, je communique, et j’explique des affaires compliquées aux gens. C’est à ça que je sers.
Quel est ton sentiment quand tu vois Donald Trump dénigrer notamment la presse, accuser les médias d’être « l’ennemi du peuple » et parler constamment de « fake news »?
Ça me dit que j’ai raison d’avoir peur! L’histoire est-elle en train de se répéter? On s’entend, il n’y avait pas de réseaux sociaux il y a cent ans, mais j’ai l’impression qu’il y a des cycles historiques. Tu regardes en Europe où il y a un retour de l’extrême droite, est-ce qu’on est dans cette deuxième phase où l’on s’approche de 1933, 1934, 1935? Est-ce que ça va revenir? Moi, c’est ça qui m’affole. Qu’a-t-on retenu d’il y a même pas cent ans? Est-ce qu’on est en train de se rendre là encore? Quand il y a eu la montée de Marine Le Pen en France, c’était affolant. En Allemagne, en Turquie, avec le déplacement des migrants, et en Italie, l’espèce de marmite est-elle en train de recommencer à bouillir comme en 1930? Est-ce qu’on se dirige vers la troisième guerre mondiale? Je ne sais pas et j’ai peur.
Ce n’est pas le président des États-Unis qui va te rassurer!
Je ne sais pas comment les hommes d’État réussissent à établir un contact avec cet homme-là, parce qu’une journée il dit une chose, le lendemain il dit l’inverse; il t’insulte et le surlendemain, il te serre la main. Je ne sais pas comment ils font pour rester à peu près sains d’esprit dans son entourage. Tu ne sais plus quelle est la valeur de la parole, des mots prononcés par ces gens-là, et c’est ça qui est affolant.
Tu es passionnée par ton métier, as-tu l’impression que tu as en quelque sorte mis ta vie personnelle en veilleuse durant des années pour te consacrer à ton travail?
Je n’ai jamais été mariée et je n’ai jamais voulu d’enfant. Je n’en voulais pas, alors je ne suis pas malheureuse de ne pas en avoir eu. Ma sœur a des enfants qui sont maintenant grands et quand ils étaient petits, je marchais sur les mains pour eux! Marie-Maude a eu un fils dont je suis la marraine, et ça me rend heureuse comme ce n’est pas permis. Alors ce n’est pas un échec dans ma vie, mais ma vie sentimentale est un échec. Et ça me fait de la peine. J’ai beaucoup à offrir, mais ça n’arrive pas. Tu sais, des hommes dans la soixantaine qui sont libres, sportifs et dégourdis intellectuellement, il n’en pleut pas.
Et pourquoi faudrait-il que ce soit un homme dans la soixantaine qui craque pour toi? Pourquoi pas un homme plus jeune que toi?
No way! Et moi je ne tomberai pas en amour avec un gars de 42 ans. Je ne crois pas à ça, et les hommes de 42 ans, pour prendre cet exemple-là, ne tripent pas sur les femmes de 59 ans. Je ne veux pas croire à ça, je cherche plutôt quelqu’un qui serait idéalement de ma génération. Je veux par contre encore y croire, je suis très ouverte et je n’y ai pas renoncé, mais j’ai de moins en moins d’espoir.
Mis à part ton métier de journaliste et le vélo, tu cultives une autre passion?
Il y a l’écriture, c’est le grand projet de ma vie qui n’est toujours pas réalisé. Ce que je veux faire n’est pas clair, mais je sais que j’ai ce talent d’écriture, alors je me dis qu’il faut que je le mette à profit. C’est une passion, mais c’est time consuming! Quand tu travailles à temps plein et que tu t’entraînes presque à temps plein, il faut que tu sacrifies quelque chose.
Tu aimerais écrire un roman?
J’aimerais bien écrire de la fiction, mais c’est un métier, écrire des romans et je ne sais pas comment faire ça. Je pense à mon amie Catherine Lafrance qui a suivi des cours d’écriture à l’Inis. Il y a une façon de structurer un roman et moi, je ne sais pas comment on fait. Peut-être qu’il faudrait juste que je plonge et que je soumette un manuscrit à un éditeur. Avec toute la matière que j’ai absorbée depuis des années, je ne peux pas croire que je ne suis pas capable d’en recracher « un p’tit boutte »!
Tu as eu l’occasion de voyager beaucoup, c’est une grande passion pour toi?
Mes projets de voyages sont souvent articulés autour du vélo, et je dirais que faire du vélo en Europe, c’est pas mal le paradis. D’abord, il y a une tradition cycliste qui est plus ancrée là-bas qu’ici, il n’y a pas d’hostilité déclarée entre les autos et les vélos. Rouler en Espagne et en Italie, c’est le paradis. Je suis d’ailleurs retournée faire du vélo en Toscane il y a quelques mois. Je ne suis pas très aventureuse, je rêve depuis longtemps d’aller faire un voyage au Vietnam, mais comme j’ai trop de projets pour le temps qu’il me reste, je vais focuser : je veux définitivement aller au Japon. Sinon, je veux continuer à faire du vélo un peu partout et maintenant que je suis capable et encore assez tough, j’aimerais faire les cols difficiles que je n’ai pas encore faits, les Pyrénées entre autres.
Quelle est ta réaction quand tu croises, au Québec ou ailleurs, des cyclistes qui ne portent pas de casque?
Je ne suis pas dans la coercition, l’idée de forcer les gens, et c’est pour ça que j’ai refusé d’être une porte-parole ou porte-étendard de ceci ou de cela. Je crois au port du casque parce que moi, ça m’a sauvé la vie. Et ça a aussi sauvé la vie de plusieurs de mes amis. Je ne pense pas qu’il faille l’imposer, mais il faut continuer d’en parler et de donner des exemples. Tu vois, je n’ai pas recommencé à rouler en ville et pourtant mon accident n’est pas arrivé en ville, mais je suis encore très très craintive et même plus qu’avant. Alors quand je vois des gens rouler sans casque en ville, j’ai un peu mal.
Toi qui a survécu à un accident qui aurait pu te coûter la vie, que dis-tu aux gens déprimés, qui ont perdu le goût de vivre et ont du mal à envisager l’avenir?
Je ne suis pas un preacher, je n’essaie pas de convaincre les gens, mais je peux être un bon conseiller. Les gens qui vivent des moments tristes et difficiles, je n’ai pas de phrase toute faite pour les pimper.
Ta joie de vivre peut être une source de motivation?
Je ne suis pas une éternelle optimiste, j’ai un petit côté grave, un côté un peu sombre, mais ça ne l’emporte pas sur mon côté heureux. Ce bonheur et cette envie de vivre, il existe depuis bien plus longtemps, tu me connais assez, et il l’emporte sur le restant. Je dirais que j’ai le bonheur facile. J’ai la même fougue, le même dynamisme qui m’anime, et ce n’est pas parce que j’ai failli ne plus l’avoir. C’était là, et c’est revenu.
Dernière question : que dis-tu aux jeunes qui envisagent une carrière dans le journalisme?
Je me réjouis toujours de voir des jeunes qui viennent à Radio-Canada pour faire des stages ou voir comment on fonctionne, et qui veulent devenir journalistes. Je me dis qu’il y a une relève, donc il y a un espoir. Je les encourage fortement. La profession va changer du tout au tout, elle ne sera plus la même dans dix ans, mais il y aura encore des gens sensés, intelligents et cultivés qui vont porter l’information. Je ne sais pas sous quelle forme ça se fera, je ne suis pas assez techno pour ça, mais ça va être une génération numérique et je leur dis : cultivez-vous! Je n’ai pas fait de bac en communication, et je pense que la meilleure préparation pour le métier que l’on fait, c’est de posséder une culture générale. Mangez-en! J’ai une forme de confiance, même si j’ai peur de ce qui s’en vient. Je me fie à la génération qui monte, qui est dégourdie et intéressée.
« Isabelle est extrêmement impressionnante » – Marie-Maude Denis
Marie-Maude Denis a non seulement travaillé avec Isabelle Richer, mais elle est également sa meilleure amie. Les deux femmes se connaissent depuis plus de quinze ans. J’ai demandé à Marie-Maude de me parler de sa collègue.
« Isabelle est une force de la nature. D’abord, ce qui m’impressionne d’Isabelle est son intellect. Elle a vraiment tous les talents, et elle est super humble. Elle ne se vante pas des études qu’elle a faites, elle est ceinture noire de karaté, c’est une athlète incroyable comme tout le monde le sait, mais c’est une fille qui a une capacité de travail qui est absolument hallucinante. Avec la carrière et la réputation qu’elle a, elle pourrait un peu prendre la vie relaxe. Sans s’asseoir sur ses lauriers, elle pourrait peut-être faire moins d’efforts pour arriver au même résultat, mais Isabelle se bat tout le temps, tout le temps. Elle est extremement impressionnante pour ça, et aussi pour sa façon de s’être réinventée après son accident. Il y a quand même eu des séquelles physiques et psychologiques importantes après l’accident. J’étais très proche d’elle durant ces moments-là, et je te dirais que six mois après qu’elle ait été hospitalisée, je n’étais plus sûre si elle allait revenir comme avant. Je n’étais plus certaine que je connaissais la personne qu’elle était devenue après l’accident. Et elle le savait aussi qu’elle n’était pas elle-même complètement. Ce n’était quand même pas rien, elle avait vraiment l’air d’un petit oiseau tombé en bas de sa branche. Elle était très amaigrie et affaiblie, elle ne pouvait pas tourner son cou, elle voyait double. Puis elle a recommencé à travailler et à tout faire tranquillement. Isabelle m’a toujours impressionnée, mais dans ce moment-là, je l’ai trouvée extraordinaire de se relever de ça. Elle a travaillé fort en physiothérapie, elle avait la force et la volonté de reprendre tous ses moyens. Elle m’a énormément impressionnée dans cette épreuve-là; je pense au chemin parcouru et je trouve ça extraordinaire. Quand je la vois rire, partir à vélo et mordre dans la vie et être aussi super active professionnellement, je me dis qu’elle revient de tellement loin!
Isabelle est ta meilleure amie, quelle est sa plus grande qualité?
Je te dirais que c’est son intelligence et aussi sa très grande sensibilité. Elle ne donne pas accès à ça à tout le monde. J’ai l’impression d’être privilégiée d’avoir accès à l’intimité d’Isabelle parce c’est quelqu’un qui dégage quelque chose de très très fort, mais elle est une personne très douce au fond. Elle est très généreuse et très aimante envers les autres, il faut apprendre à la connaître. Elle est pudique dans l’expression de ses sentiments au départ, mais quand elle t’aime, elle t’aime! Elle est extrêmement fidèle en amitié.