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Yolande James: Le goût de faire avancer les choses

Yolande James est une femme passionnante à interviewer, une ex-politicienne et avocate de formation qui n’a pas la langue dans sa poche. Elle a été députée libérale de 2004 à 2014 et a occupé le poste de ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles durant trois ans. Cette fervente de politique américaine a suivi et commenté la campagne présidentielle pour l’émission Mordus de politique. Les coulisses de la vie politique, le mouvement Black Lives Matter, l’élection présidentielle américaine, tout y passe dans cette entrevue.

Texte: Daniel Daignault

Quels souvenirs conservez-vous de votre passage en politique?

Le quotidien de faire de la politique, c’est carrément une drogue. Il n’y a pas une journée qui se déroule de la même façon, c’est passionnant! Et quand tu es avec ta famille politique, on n’appelle pas ça une famille pour rien, pour toutes sortes de raisons tu te retrouves avec ces gens-là plus souvent qu’avec ta propre famille. Ce n’est pas toujours simple de faire de la politique, mais j’ai adoré ça, même s’il y a des moments difficiles.

Photo: SRC

Vous avez fait vos débuts en politique à l’âge de 26 ans et on vous rappelle très souvent que vous avez été la première députée noire à Québec. Vous vous en faites une gloire ou à vos yeux, c’est juste un fait et que ça pouvait ouvrir des portes à d’autres personnes?

Au moment où c’est arrivé, je sentais une pression énorme. Au moment de mon assermentation, c’était organisé, mais aussi très spontané et plusieurs membres de la communauté noire du Québec étaient là, entre autres le maire d’Amos (Ulrick Chérubin) et le maire de Mont-Laurier (Michel Adrien), deux maires noirs. Tout ce monde-là s’était déplacé au Salon rouge de l’Assemblée nationale pour assister à mon assermentation. Moi, je sentais une énorme pression d’être à la hauteur tout de suite. Aujourd’hui, à 42 ans, si j’avais la chance de parler à la Yolande de 26 ans, je lui dirais: « Profite du moment un peu, tu as quand même travaillé pour y arriver. D’autres ont fait en sorte que tu puisses te rendre là, t’as le droit d’en profiter. » À cette époque-là, je comprenais le moment du symbole, mais je voulais qu’il y en ait d’autres aussi après moi. Je me disais: si je fais bien, ce sera peut-être plus facile pour elles, et si je ne suis pas bonne c’est peut-être un jugement que d’autres pourraient porter. À un moment donné, avec le temps et avec l’expérience de la vie, tu te dis que tu as ta vie à vivre aussi. Je me donne à 110% tout le temps, et parfois ça marche, parfois ça ne marche pas, mais l’important c’est de tout faire pour livrer.

Photo: Daniel Daignault

Est-ce qu’il y a des collègues ou des gens qui vous ont fait sentir que vous aviez été nommé ministre pour faire plaisir à la communauté noire?

Oui, moins comme députée, mais quand j’ai été assermentée comme ministre de l’Immigration, des collègues le disaient et les commentateurs aussi. Ça aussi, c’était une pression et c’était intéressant, mais il fallait regarder mon profil et ma formation, ce que j’avais fait jusqu’à l’âge de 26 ans. Je n’avais pas beaucoup d’expérience de travail, mais quand même, je m’impliquais en politique depuis l’âge de 17 ans et j’avais travaillé dans des cabinets de bureaux de comtés et j’avais ma formation d’avocate. Si on avait pris juste ça, sans voir qui j’étais, je ne suis pas certaine que les gens auraient mis en cause ma compétence. Mais j’étais une femme, j’étais jeune et noire. À l’époque, si on m’avait posé la même question, j’aurais hésité à le dire, mais aujourd’hui, ça fait encore partie de la réalité des femmes qui font de la politique. L’important est la force du nombre, plus il va y en avoir, moins cela sera critiqué.

Photo: Daniel Daignault

Quand on suit de près la politique, la chose la plus agaçante est certainement de voir la période des questions. On aimerait, comme dans un conseil d’administration ou une réunion d’affaires, que François Paradis se lève et dise: « OK tout le monde, ça va faire le niaisage et les enfantillages, et cette manie de ne pas répondre clairement aux questions, on va se mettre au travail et faire les choses sérieusement! »

Moi j’ai l’impression, peut-être dans une sorte de modernisation, qu’on pourrait revoir la période des questions. C’est presque une pièce de théâtre, c’est comme un show. Oui, c’est comme un show. Tu sais, j’ai participé à ça, je ne suis pas là pour critiquer qui que ce soit, mais les moments où avec mon critique ou ma critique de l’opposition on s’envoyait des questions ou des réponses pendant la période des questions, avant ou après, j’allais voir la personne pour qu’on se jase des vraies affaires. Si tu veux faire avancer le gouvernement, tu as intérêt à t’entendre avec tes adversaires politiques et de trouver des façons de faire des compromis. Il faut se parler et prendre le temps de bâtir des relations personnelles avec des collègues. J’ai eu la chance de travailler avec Camil Bouchard comme critique de l’opposition. Il avait tellement d’expérience, j’ai tellement appris. En le voyant en Commission parlementaire, au lieu de considérer cela comme une espèce de confrontation envers le gouvernement ou le parti, il faut voir les bonnes idées et en discuter.

Si on voyait ça, on serait peut-être moins cyniques face à la politique!

Tu fais bien de le dire, si on voyait ça, et peut-être que ça devrait arriver, mais ça ne fait pas la nouvelle, malheureusement.

Photo: Daniel Daignault

Le 8 mars 2017, vous n’avez pas été choisie lors de l’investiture du Parti libéral du Canada en vue de l’élection partielle dans la circonscription de Saint-Laurent à Montréal. On vous a proposé depuis d’effectuer un retour en politique?

Oui, il y a eu des tentatives, mais ma réponse est demeurée la même : non. Peut-être un jour. Ça ne donne rien de dire jamais, parce qu’on ne sait pas ce que la vie nous réserve. C’est sûr que pour les prochaines années, je n’y pense pas du tout.

Qu’aimeriez-vous que l’on dise à votre sujet, à propos de votre passage en politique?

Bonne question! Deux choses assez simples: que j’étais une personne authentique et à l’écoute de ce qu’on voulait, et que j’ai poussé pour faire avancer notre situation afin d’avoir accès aux services, accès à une place à la table, comme on dit. Que les gens retiennent que j’ai poussé fort en ayant de l’écoute et de l’authenticité, je serais bien fière de cela.

Aujourd’hui, après la vie en politique, quels sont les emplois que vous occupez?

Je suis analyste politique à l’émission Mordus de politique, je suis avocate médiatrice et je suis conférencière. Ce sont mes trois emplois avec lesquels je gagne ma vie.

Photo: SRC

Quel serait votre message aux jeunes filles qui voudraient se lancer en politique ou qui veulent étudier en droit? Quels conseils leur donneriez-vous?

Si elles en ont envie, je leur dirais que si elles pensent trop à toutes les facettes, ce que ça implique, ce ne sera jamais parfait. Et malheureusement, les filles, on veut être parfaites. On veut que les circonstances et le contexte soient parfaits. Ça ne se passe pas comme ça, il faut se préparer, il faut se poser la question à savoir pourquoi on veut faire cela. Si ta réponse n’est pas claire, ça va être difficile. Il y a aussi la ligne de parti, il faut que tu en sois consciente et que tu saches si tu peux bien vivre avec ça. T’apprends à choisir tes batailles, tu le sais que tu ne pourra pas toutes les gagner.

Parlons des élections américaines. À quoi faut-il s’attendre?

Peu importe le résultat des élections, je pense que ça va prendre des années avant que les États-Unis, et je vais même dire l’Amérique du Nord, se sortent des séquelles de cela. 

Photo: Daniel Daignault

Madame James croit, comme plusieurs, que Donald Trump pourrait aller jusqu’à contester le résultat des élections et la victoire de Joe Biden. « Je ne pense pas qu’il va réussir, mais il a déjà placé ses arguments en ce sens, en parlant du vote par correspondance, de la fraude électorale. Il s’est employé à mettre en cause la crédibilité du résultat au cas où. Il avait fait ça aussi en 2016. On le voit sur le plan psychologique, c’est un narcissique et il n’y a pas de plus grande honte pour lui que de se faire humilier. Il va tout faire pour éviter cela, confie-t-elle. Il doit aussi être inquiet sur le plan judiciaire face à ce qui l’attend. Il a une protection présidentielle, mais s’il la perd, je ne sais pas ce qu’il va faire. Il a intérêt à demeurer président, pas juste parce que ça lui plait, mais pour toutes sortes d’autres raisons, toutes les enquêtes qu’il y a à son sujet. »

Yolande James fait aussi remarquer que tous ceux qui appuient Donald Trump le font inconditionnellement. « Il n’y a rien que tu puisses faire pour les faire changer d’idée, c’est vraiment hallucinant. Les gens peuvent être en train de souffrir à cause de ses politiques, mais ils vont répéter, parce qu’ils en sont comme convaincus, qu’il défend leurs intérêts et que tout ce que l’on entend contre lui est un coup monté. »