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ACQUITTÉ À CAUSE DES DÉLAIS : une INJUSTICE ?

CHRONIQUE JURIDIQUE

par marie-pier boulet, bmd avocats inc.

Pour faire changement, l’acquittement à cause des délais ne sera pas expliqué ou présenté sous forme d’injustice dans cette chronique. L’angle moins populaire ici adopté vise à présenter l’envers de la médaille. Si vous étiez accusée d’un crime, souhaiteriez-vous pouvoir être entendue rapidement afin de rétablir la vérité!

Être accusée

Il est clair pour moi qu’il est difficile, voire impossible, de comprendre la situation d’une personne accusée tant que nous ne le sommes pas soi-même ou qu’une personne proche ne l’est.

Être accusée signifie souvent que notre liberté est restreinte avant même que l’on soit déclarée coupable. Par exemple, dans une affaire conjugale, la personne peut avoir comme condition de ne plus pouvoir se présenter à sa propre résidence. Pire encore, elle pourra voir ses enfants uniquement sous supervision, etc. Évidemment, ces conditions visent un objectif de protection, mais qu’arrive-t-il si au final, les accusations n’étaient pas fondées? Une fois acquittée, l’accusée obtient rarement, sinon jamais, de réparation.

Être accusée signifie toujours que les gens dans notre entourage immédiat nous ont peut-être déjà condamnées avant même que le procès ne soit tenu. « Il n’y a pas de fumée sans feu », que plusieurs disent. Une fois acquittée, tous diront que ce n’est pas parce que vous n’étiez pas coupable, mais parce que vous aviez un bon avocat, que vous avez bénéficié d’un doute raisonnable, et quoi encore ?

Encore pire pour une adolescente

Dans une affaire récente, la Cour suprême (R. c. K.J.M. 2019 CSC 55), à la majorité, concluait que le délai de dix-huit mois pour les procédures judiciaires sommaires était aussi applicable pour les adolescentes, soit le même délai que pour les adultes. La majorité des juges, 5 sur 9, a décidé qu’il n’y avait pas distinction à faire en matière de chiffre. Par contre, les juges listent cinq (5) raisons qui expliquent pourquoi l’écoulement du temps est plus problématique pour une adolescente.

  1. Les mesures rapides favorisent la conscientisation;
  2. L’incidence psychologique du processus judiciaire;
  3. Le sentiment d’incompréhension par rapport à une peine imposée si elle survient trop loin dans le temps par rapport au geste;
  4. Les souvenirs qui s’estompent plus rapidement pour témoigner des faits;
  5. L’intérêt de réhabiliter les adolescentes rapidement.

Ces principes sont sans contredit évidents dans la situation des jeunes, mais ne sont pas totalement étrangers à la situation des adultes. En effet, il est rappelé dans la décision qu’il n’y a pas que l’adolescente qui gagne dans la réhabilitation, mais la société en entier.

En relisant les cinq (5) éléments plus haut, on remarque que plusieurs s’appliquent à une peine, c’est-à-dire à une situation où la personne va reconnaitre sa culpabilité. C’est pourtant logique : avez-vous déjà été punie par vos parents ou sanctionnée au travail, des mois après les gestes qu’on vous reprochait ? Le délai crée un sentiment d’injustice tant pour la victime que pour la personne accusée. Difficile à croire, mais une peine qui survient tardivement, crée ce sentiment dans l’esprit de la personne. Ce n’est pas que moi qui le dis, la Cour suprême le reconnait.

Ceci étant dit, il ne faut pas sacrifier la qualité au profit de la rapidité. Trop souvent dans notre pratique, nous sommes confrontées à cette pression importante que les procédures aillent vite, point. Je persiste à dire que le système de justice à tout intérêt à être rapide certes, mais surtout de qualité, la rapidité n’étant qu’une qualité.

Le texte utilise la forme  féminine pour alléger le texte  et parce qu’il est publié sur un site qui donne la parole aux femmes